lundi 30 mai 2016

Giselle, Première 28 mai 2016


Amandine Albisson - Stéphane Bullion

Giselle est donc enfin de retour sur la scène de l’Opéra Garnier après une assez longue absence (2009), mais le ballet, souvent donné en tournée, n’est pas un oublié du répertoire. On s’explique mal cette absence à Paris, d’autant plus que c’est un favori des danseurs comme du public.
Une série de défections a malheureusement ponctué les dernières semaines chez les Etoiles du ballet, en premier lieu d’Emilie Cozette à Laura Hecquet avant même les distributions par dates connues, puis celles de Josua Hoffalt, Laëtitia Pujol, qui joue de malchance depuis la captation de 2006 (alors que c'était son rôle fétiche) et Alice Renavand, jusqu’au soir de cette Première avec celle à la dernière minute de Myriam Ould-Braham et par ricochet de son partenaire Mathieu Ganio qu’on espère voir par la suite.

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
C’est donc Amandine Albisson et Stéphane Bullion, duo de l’Avant-Première qui s’était tenue la veille qui ont été sollicités à l’improviste pour lancer le retour à Paris de ce ballet mythique.
Il s’agissait pour Amandine Albisson d’une prise de rôle (l’avant-première n’étant pas statutairement comptabilisée comme une représentation). A l’invitation d’Eleonora Abbagnato, elle avait cependant déjà dansé le ballet à l’Opéra de Rome à l’automne dans la version de Patricia Ruanne, coachée par cette dernière. Amandine a également bénéficié de l’expérience de Stéphane Bullion, habitué du rôle dont il connaît tous les contours et qu'il a déjà dansé à l'Opéra avec trois partenaires différentes.

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
Amandine Albisson est une Giselle atypique par ses propres caractéristiques de ballerine solaire et flamboyante et le couple a su utiliser cette différence pour proposer une interprétation originale du ballet de Coralli-Perrot.
Elle présente ainsi une Giselle tonique, voire extravertie dans le premier acte, au flirt sans complexe, aux côtés du Loys cynique de Stéphane Bullion, dragueur éhonté, qu’elle préfére à Hilarion, rejeté sans hésitation. Les mouvements sont amples, elle rayonne dans sa danse plutôt terrienne, c’est une paysanne, et mène joliment la première partie du ballet avec son énergie et sa fraîcheur. Une fois Albrecht confondu, elle se lance dans une hystérie en accord avec ce personnage généreux qu’elle avait dessiné, tel un ouragan.
Albrecht jusqu’alors plutôt roué dans ses intentions et constamment dans ses apparitions de Loys "pressé de conclure" sa petite affaire, ne prend conscience de sa responsabilité qu’au moment ultime où elle git dans ses bras, introduisant ainsi une cohérence avec la suite du ballet.

Stéphane Bullion
Le remords envahit donc le deuxième acte introduit par la poésie de l’entrée d’Albrecht suivi du premier pas de deux. Dans ce long dialogue avec lui-même, Stéphane Bullion passe dans une autre dimension. De l’Albrecht sûr de lui, il ne reste plus rien. Albrecht triste aux lys chéris, Giselle devenue Wili, dialogue d’hallucinations dans l’irréel, peut-être la plus belle scène de la soirée. Le plateau de Garnier est très sombre, le tutu de Giselle s’envole comme par magie.

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
Par la suite, la Giselle spectrale d’Amandine Albisson est réellement fantomatique. Elle n’a pas la silhouette diaphane des Giselle de l’Opéra mais son regard absent est très puissant et renvoie à ce moment de folie du premier acte. Elle va protéger son aimé avec une même énergie mais cette fois désincarnée et gagner finalement sinon l’amour fou, le respect de ce dernier. Ses équilibres sont comme suspendus dans le temps, son évolution dans les bras d’Albrecht évanescente.

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
Victime désignée des Wilis, Stéphane Bullion va prendre en charge l’aspect dramatique de la deuxième partie de l’acte en interprétant un Albrecht se liquéfiant au fur et à mesure du ballet, montrant bien l’évolution de son épuisement. Il enlève d'abord une première variation pure et tonique des cambrés signifiants  à la puissante révoltade, puis dans une supplique poignante à Myrtha et aux autres Wilis dans sa deuxième variation introduite par des sauts de basque spectaculairement emprunts de la violence du désespoir.
L'aube arrive, les amants virtuels ont résisté, et dans un final magnifique de poésie, Giselle fait entrevoir l’avenir à Albrecht dévasté. Hagard, il voit Giselle lui échapper mais marche vers le futur, transformé.

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
Amandine Albisson et Stéphane Bullion ont donc surgi au dernier moment dans une distribution avec laquelle ils n’avaient pas répété, ce qui dans Giselle heureusement n’est pas capital, Stéphane Bullion ayant déjà interprété le rôle aux côtés de Vincent Chaillet et Sébastien Bertaud auparavant pour les seules vraies interactions avec d’autres personnages.
On peut regretter aux vues de l’Hilarion de Vincent Chaillet, un rien noble, qu’il n’ait pas la possibilité cette année d’interpréter Albrecht. Son Hilarion est sensible rappelant celui de Yann Bridard, ce qui le place presque en victime touchante dans la scène de la folie lorsque Stéphane Bullion le désigne responsable de la mort de Giselle.

Amandine Albisson, Stéphane Bullion et Valentine Colasante
La Myrtha de Valentine Colasante qui faisait elle aussi ses débuts possède déjà la dimension dramatique du rôle. Son entrée martiale est très prenante et elle mène son royaume d’une main de maître.
Le corps de ballet est très en place, chez les paysans comme chez les Wilis et François Alu et Charline Giezendanner rayonnent dans l’ingrat pas de deux des paysans, parfaits contrepoint pragmatique à l’idéal du couple principal.
Une fois la fumée disparue, le charme opère encore et on se dit que ce très beau ballet devrait être plus souvent à Paris

Vincent Chaillet - Amandine Albisson - Stéphane Bullion - Valentine Colasante

samedi 28 mai 2016

Giselle 27 mai - 13 juin 2016


Giselle
Ballet en deux actes
Livret de Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges
Musique - Adolphe Adam
Chorégraphie (1841) - Jean Coralli et Jules Perrot transmise par Marius Petipa (1887)
Adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov (1991)
Production  de 1998
Décors - Alexandre Benois (1924) réalisés par Silvano Mattei
Costumes - Alexandre Benois réalisés par Claudie Gastine
Orchestre des Lauréats du Conservatoire (Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris)
Direction musicale - Koen Kessels

La description synoptique du ballet se trouve dans l'entrée du 24 septembre 2009

Amandine Albisson - Stéphane Bullion
Distribution de la Première, 28 mai 2016
Giselle - Amandine Albisson
Albrecht - Stéphane Bullion
Hilarion - Vincent Chaillet
Myrtha - Valentine Colasante

Stéphane Bullion


samedi 14 mai 2016

Le Parc, Teatro dell'Opera di Roma, 5-11 mai 2016


Le Parc
Musica - Wolfgang Amadeus Mozart
Creazione sonora - Goran Vejvoda
Coreografia  Angelín Pre|jocaj, ripresa da Laurent Hilaire e Noémie Perlov
Scene - Thierry Leproust
Costumi - Hervé Pierre
Luci - Jacques Chatelet
Allestimento del Teatro alla Scala di Milano
In memoria di Jacques Chatelet

Ballet créé pour le Ballet de l'Opéra de Paris le 9 avril 1994
Entrée au répertoire du Teatro dell'Opera di Roma, 5 mai 2016

La description synoptique du Parc se trouve à l'entrée du 6 mars 2009


Stéphane Bullion - Eleonora Abbagnato

Direttore - David Garforth
Pianoforte - Incoronata Russo
Con Eleonora Abbagnato e Stéphane Bullion étoile ospite
L’Orchestra, i Solisti e il Corpo di Ballo del Teatro dell’Opera



L’Etoile parisienne Eleonora Abbagnato également directrice artistique du ballet de l’Opéra de Rome a fait le choix pour sa première saison d’inscrire Le Parc d’Angelin Preljocaj au répertoire de sa compagnie et d’inviter son collègue de l’Opéra de Paris, Stéphane Bullion à partager la scène romaine avec elle. Difficile de rater l’occasion offerte par la ballerine sicilienne d’aller à la rencontre d’une de ces œuvres majeures qui a marqué l’histoire de l’Opéra de Paris pour qui elle a été créée en 1994. Après son acquisition par la Scala de Milan, le Deutscher Oper de Berlin ou le Mariinsky, sa diffusion internationale s’étend dorénavant avec le ballet de Rome.



Angelin Preljocaj a confié à Laurent Hilaire, créateur du rôle principal, le soin de transmettre son œuvre au corps de ballet romain. Même si ce dernier prend lui un peu de temps pour trouver les tempi et les placements parfaits, il s’approprie très bien les contours de l’œuvre, à l’image d’un quatuor de jardiniers d’une efficacité redoutable et au finish se glisse avec bonheur dans ce paysage dansé à la française. On retient souvent du Parc ses trois pas de deux qui emblématisent les états de l’amour d’un couple, mais les multiples interventions entre ces pics d’intensité créent une ambiance et construisent le propos, aidant à la lecture des conditions possibles de l’évolution sentimentale des protagonistes principaux. Les jardiniers, évoquent avec acuité un profil catharsistique d’états plus elliptiques qui entraîne clairement la transition. Le ballet de l’Opéra de Rome a abordé avec énergie et succès le challenge de s’approprier cette œuvre prenante.


Le ballet très esthétisant est bien construit autour d’une structure plutôt classique. La musique poétique et enlevée de Mozart est élégamment délivrée par l’orchestre de l’opéra de Rome dirigé par David Garforth et les parties ésotériques de Goran Vejvoda qui temporisent les ardeurs mozartiennes, se marient avec perfection. Angelin Preljocaj commente les notes de sa gestuelle singulière de manière assez synchronique, ici encore très ancrée dans un esprit classique où le corps libéré épouse les contours des lignes musicales dans des sinuosités charmeuses de la modernité.


A Rome, cette chorégraphie est admirablement habitée par Eleonora Abbagnato et Stéphane Bullion, deux danseurs qui connaissent bien l’oeuvre. Le Parc, ballet si peu narratif et si grandement conteur d’une histoire d’amour entre deux libertins, est clairement articulé par leur interprétation nuancée et sincère, qui exhale une suite d’émotions vécues par deux artistes au firmament de leur art.


Stéphane Bullion a beaucoup dansé ce ballet en 2013. Il en livrait une interprétation extrêmement poétique dans une série de représentations avec trois partenaires différentes, Laëtitia Pujol, Alice Renavand et Isabelle Ciaravola. Eleonora Abbagnato n’avait pas repris le rôle depuis 2005, mais les danseurs se connaissent bien et, sans avoir le même développement artistique dans l’expression de leur art, ils s’entendent toujours à merveille, parce qu’ils ont en commun une sincérité qui confère à l’harmonie. Ces deux danseurs favoris de Preljocaj à l’Opéra de Paris sont bien rompus aux subtilités de son langage, ce qui les met tous les deux d’emblée au service de l’histoire en développant avec richesse de multiples subtilités dans l’interprétation. On est d’ailleurs à peine surpris qu’avec si peu de répétitions ensemble, ils puissent restituer l’essence même de l’œuvre dès la Première avec cette perfection.


Si Eleonora Abbagnato aborde le rôle avec la détermination qu’on lui connaît, elle succombe très vite au charme de son partenaire et livre un personnage tourmenté dès le contact lors du premier pas de deux. Elle prend alors en charge l’émanation émotionnelle du duo. C’est elle dont on observe les réactions, au cœur de l’intrigue. Elle montre ici des brèches dans sa fière posture du premier tableau. Stéphane Bullion reste dans le jeu de séduction, mi- sérieux, mi- séducteur. Il est subtilement un rien cynique dans tout le premier acte, avec juste ce qu’il faut pour rester désirable. Dans la scène introductive, ses jeux de regards avec les demoiselles comme avec les messieurs avait laissé percer un joueur qui n’a pas l’intention de se laisser prendre. Encore au deuxième acte, il ne se prive pas de jouer de la séduction et d’apprécier sa demoiselle dans le jardin, tant est si bien qu’on se demande quelle sera son attitude lors de son retour sur scène pour le pas de deux.



Eleonora Abbagnato qui s’était montrée rêveuse dans la scène avec les dames s’est alors repris, et ne se laisse pas conter par le séducteur. C’est au cours de ce pas de deux passionnant que le nœud de l’intrigue se délie, un subtil équilibre des sentiments respectifs s’établit alors. Plus encore que celui très connu du troisième acte, c’est presque l’acmé du ballet, mais la fin du pas de deux est bouleversante parce qu’on en ignore les débouchés. Les deux libertins sont touchés, mais ils ne veulent toujours pas succomber. Personne ne cède à l’autre, même si le regard d’Eleonora en dit long, elle retrouve sa fierté du premier acte et met son partenaire en échec, Stéphane Bullion reste seul comme accablé par cet échec au centre de la scène.


Ces variations des sentiments permettent d’aborder le troisième acte de manière ressourcée. Le songe de la demoiselle dans la nuit accompagnée des jardiniers, reste très énigmatique. Il s’oppose à la détermination du damoiseau avec les garçons, d’une énergie qui le réinstitue en dominateur et peut-être encore dans le jeu.



La manière très précise dont Preljocaj a tissé ces pas de deux dans ce dialogue évocateur mais distant est admirablement contrôlée par une maîtrise parfaite de l’interprétation, un dosage très juste des émotions qui apparaît comme une écriture narrative en soi. Elle laisse planer avec intelligence le suspense jusqu’ la fin, même si le pas de deux du troisième acte consacre des jeux plus charnels et moins elliptiques.


Même si bien sûr, on connaît la fin de l’histoire, elle peut prendre différents aspects selon les interprètes. Stéphane Bullion qui avait succombé avec juste un soupçon d’émotion en 2013, restant finalement presque le libertin dominateur, livre à Rome ses sentiments à nu avec une Eleonora Abbagnato enflammée. Libérés et enfin égaux, ils confèrent une émotion ultime au pas de deux final, tout en restant dans une sincérité absolue qui en maintient l’intégrité. La chorégraphie est suffisamment parlante en elle-même pour que les deux artistes se laissent porter par les émotions et les transmettre directement au public.



Le ballet dans son ensemble a perpétué ces moments de suspension et de sérénité, un état autre, indéfinissable qui suscite le plaisir. Ces soirées romaines furent de ces moments-là, et l’on se dit tout simplement que ces représentations avec deux étoiles de l’Opéra de Paris qui viennent de se dérouler à Rome sont peut-être LE spectacle de la saison.

Incoronata Russo, David Garforth, Stéphane Bullion, Angelin Preljocaj, Eleonora Abbagnato

jeudi 5 mai 2016

Le Parc, Teatro dell'Opera di Roma, vidéo promo



Vidéo Teatro dell'Opéra di Roma
Le Parc
Balletto in tre atti
Musica di Wolfgang Amadeus Mozart

Direttore David Garforth
Coreografia Angelin Preljocaj
ripresa da Noémie Perlov e Laurent Hilaire
Scene Thierry Leproust
Costumi Hervé Pierre
Luci Jacques Chatelet
Intepreti: Eleonora Abbagnato e Stéphane Bullion
Orchestra, Solisti e Corpo di Ballo del Teatro dell’Opera