La mutation d’Amoveo est particulièrement perturbante. Le ballet a été réduit de moitié, les inscriptions subtiles dans l’espace des costumes de Marc Jacobs ont disparu… Du souvenir d’une œuvre monumentale sous tous les plans, de la musique, de la scénographie, des costumes, du nombre de danseurs, qui avançaient en majesté vers du lyrisme et de la pureté où se nichait le pas de deux émotionnel, il ne reste plus qu’un petit groupe qui s’agite sans véritable sens en prologue et des envolées trop courtes pour marquer après le pas de deux central. Jusqu’à ce moment, les danseurs semblent chercher leur voie, ils composent pour composer, pour occuper l’espace et c’est grâce à la formidable musique très prégnante de Phil Glass que l’ensemble se tient.
Le final en revanche, sans prétention, est plutôt réussi, très aérien et bien rythmé, mais quel gâchis !A l'image de la réduction du ballet, réduction de distributions également puisque Nicolas Le Riche se partage entre Clairemarie Osta et Aurélie Dupont. Peu de différences entre les deux danseuses, le ballet est plutôt un ballet de l'osmose et du mouvement, que de la virtuosité et de l'incarnation.
Un des principaux problèmes de Benjamin Millepied dans cette triple affiche est qu’il côtoie des machines à créer des ambiances et des chorégraphes au style très défini et porteur, ce qui lui fait encore défaut. On sent quelqu’un qui se cherche, alors que Nicolas Paul et Wayne McGregor impulsent un style, une recherche du mouvement très caractéristique très réfléchie dans la scénographie et l’inscription musicale dont on perçoit la cohérence à travers tout le ballet.
Avec Répliques, Nicolas Paul ne rate pas son entrée sur la scène de l’Opéra Garnier. Tout dans son ballet conduit à l’admiration. Répliques une oeuvre très bien pensée et très bien réalisée.
Elle surfe sur l’idée du double, esthétique et structure binaire avec comme catharsis les voiles miroirs qui réfléchissent ou séparent dans des jeux de lumière subtils. Les vêtements voiles à double couche qui aspirent la lumière ou la renvoient, les duos de danseurs qui s’échangent ou forment des associations plus complexes à diverses configurations pour se répondre, une idée déclinée sous toutes ses formes dans une scénographie très élaborée et souvent inattendue.
Elle surfe sur l’idée du double, esthétique et structure binaire avec comme catharsis les voiles miroirs qui réfléchissent ou séparent dans des jeux de lumière subtils. Les vêtements voiles à double couche qui aspirent la lumière ou la renvoient, les duos de danseurs qui s’échangent ou forment des associations plus complexes à diverses configurations pour se répondre, une idée déclinée sous toutes ses formes dans une scénographie très élaborée et souvent inattendue.
Répliques dégage une intensité à travers tous ses éléments, le décor austère, presque ascétique mais visuellement très poétique qui crée une ambiance lunaire soulignée par des demi-pénombres. La chorégraphie se fond dans cet espace et cette atmosphère, de même que les costumes qui impulsent parfois des touches d’impressions par les manipulations des danseurs, des touches opaques ou de couleurs diffuses qui visuellement, créent de la chaleur dans cet univers glacé.
Les danseurs tracent des lignes très structurées dans les airs, jouent avec les parallélismes des duos ou des groupes, dans un dialogue vif et nourri en symbiose totale avec la musique, judicieusement utilisée et très bien comprise par le chorégraphe. Les différents titres de Ligeti, les silences des liaisons, tout est exploité dans une quasi lecture des mouvements avec une mise en relief dans la chorégraphie. Nicolas Paul parlait dans la Rencontre de Bastille de "partition", évoquant là une conception de l’écriture chorégraphique inscrite comme un concept musical ciselé, cette idée que les danseurs se meuvent comme un commentaire analytique de l’œuvre musicale qui peut se décrypter comme tel. Le résultat est une œuvre d’une musicalité intense, ce qui n’était pas évident avec un tel choix musical.
Stéphane Bullion-Isabelle Ciaravola
Josua Hoffalt-Muriel Zusperreguy/Christelle Granier-Jean-Christophe Guerri/Bruno Bouché-Charlotte Ranson
Josua Hoffalt-Muriel Zusperreguy/Christelle Granier-Jean-Christophe Guerri/Bruno Bouché-Charlotte Ranson
La scénographie découpe les figures avec à la fois une structure très précise et complexe, des synchronies par genre aux duos finaux qui ne se ressemblent jamais et qui se définissent enfin plus clairement avec l’apparition des voiles qui séparent les couples progressivement et à travers lesquels les paires finissent pas ne plus se répondre mais à s’autonomiser.
Charlotte Ranson, Muriel Zusperreguy, Stéphane Bullion, Christelle Granier, Josua Hoffalt, Jean-Christophe Guerri
Audric Bezard - Agnès Letestu
Christophe Duquenne
Deux distributions pour ce ballet d'ambiance, une avec des danseurs éprouvés des chorégraphies de Nicolas Paul comme Bruno Bouché, Stéphane Bullion, Jean-Christophe Guerri, Charlotte Ranson ou Muriel Zusperreguy, l'autre plus hétérogène avec Adrien Couvez et Emilie Cozette comme familiers. Il est certain que les baroudeurs habitués ont une maîtrise du geste, de l'espace et de la précision qui se démarque de la deuxième distribution plus effacée dans son écrin.
En dehors de la gestuelle complexe, la maîtrise des synchronies ou des diachronies, notamment dans le premier mouvement qui voit des groupes non mixtes, est parfaite. La puissance de Stéphane Bullion et son autorité sur scène lui permettent d'imposer une figure marquante dans son solo d’une vitesse qui frise l’évocation de la violence, et dans le dernier pas de deux où, très ambigu, ses manipulations précises d'Isabelle Ciaravola tournent à l'envoûtement et parfois à l'étonnement avec en particulier un de ces fameux sauts à l'horizontal, dans Répliques une impulsion à la danseuse qu’il maîtrise complètement et dont Nicolas Paul a le secret... Secret qui ne s’est pas communiqué à Vincent Chaillet...
Après la rigueur intérieure de Répliques, la tonicité exubérante de Genus pourrait surprendre mais la composition déstructurée de la première partie de l’œuvre de Wayne McGregor insuffle un mystère similaire. La chorégraphie, comme celle de Nicolas Paul, interroge le spectateur mais celui-ci peut aussi se laisser porter par l'action. Par son rythme soutenu de changements de tableaux, elle déstabilise. Les danseurs enchaînent les mouvements comme des réponses arrogantes les uns aux autres et Wayne McGregor instaure des ruptures très nettes qui lancent dans des directions, des pistes. Le sextet est traversé par des ondes électriques incarnées par les danseurs les plus toniques du ballet dont Simon Valastro étonnant de maîtrise ou Laurène Levy, élastique à souhait, mais aussi Dorothée Gilbert, comme si elle était sous acide ou Mathias Heymann survolté...
Audric Bezard - Agnès Letestu
Après une série d’échanges désincarnés par couples ou trio, mixte ou non, des relations semblent se nouer dans les duos principaux, un étonnant Audric Bezard accompagnant avec fluidité Agnès Letestu ou Stéphane Phavorin, tout aussi flexible avec Alice Renavand. Marie-Agnès Gillot et Benjamin Pech ou Christophe Duquenne et Stéphanie Romberg se toisent, s’affrontent sans se heurter dans un mouvement lent et hypnotique.
Au centre de la scène, pris dans l’enfermement d’un rectangle maléfique qui se déplace, ils exposent des esquisses de sentiments. C’est en laissant sa compagne endormie que l’homme relance une dernière fois un monologue spectaculaire avant de laisser place à la galerie de l’évolution. Peut-être l’instant le plus discutable, en tout cas le plus dispensable dans le spectacle. Des projections qui centrent sur le propos darwinien de Wayne McGregor, comme s’il n’était pas certain que les incroyables extrêmes dans lesquels il pousse la flexibilité des danseurs ne se suffisaient pas à eux-mêmes pour montrer que l’homme n’est plus ce qu’il était, la mutation du papillon, le lion prédateur, oui, ok…
Au centre de la scène, pris dans l’enfermement d’un rectangle maléfique qui se déplace, ils exposent des esquisses de sentiments. C’est en laissant sa compagne endormie que l’homme relance une dernière fois un monologue spectaculaire avant de laisser place à la galerie de l’évolution. Peut-être l’instant le plus discutable, en tout cas le plus dispensable dans le spectacle. Des projections qui centrent sur le propos darwinien de Wayne McGregor, comme s’il n’était pas certain que les incroyables extrêmes dans lesquels il pousse la flexibilité des danseurs ne se suffisaient pas à eux-mêmes pour montrer que l’homme n’est plus ce qu’il était, la mutation du papillon, le lion prédateur, oui, ok…
Christophe Duquenne
Ce moment de répit qui tourne sinon à l’hallucination, frôle en tout cas le test de résistance à l'épilepsie, débouche sur un grand moment de jubilation chorégraphique. Le corps de ballet prend la scène avec l’intention unique de faire tourner la tête au spectateur, vitesse et précision des mouvements, mobilité sur scène, échanges de partenaires, tout concourt au paroxysme de l’énergie.