lundi 17 mai 2010

La Bayadère 17 mai - 2 juin 2010


La Bayadère
Ballet en trois actes
Chorégraphie et mise en scène - Rudolf Noureev d'après Marius Petipa
Livret de Marius Petipa et Sergueï Khoudekov
Musique - Ludwig Minkus, réalisée et adaptée par John Lanchbery
Décors - Ezio Frigerio
Costumes - Franca Squarciapino
Lumières - Vinicio Cheli
Orchestre Colonne, direction musicale - Kevin Rhodes
Production créée pour le Ballet de l'Opéra de Paris le 8 octobre 1992

Agnès Letestu

Argument  (source: Programme Opéra national de Paris)

ACTE 1
PREMIER TABLEAU - DEVANT LE TEMPLE

Solor
Nicolas Le Riche

Un noble guerrier, Solor, voulant offrir au Rajah la dépouille d'un tigre, envoie ses amis à la chasse, tandis gu'il reste près du temple pour essayer de rencontrer - en secret - sa bien-aimée Nikiya, l'une des danseuses qui gardent le feu sacré.

Le Grand-Brahmane
Yann Saïz

Le Grand Brahmane avoue à Nikiya qu'il éprouve de l'amour pour elle. Choquée de cette déclaration, la bayadère lui rappelle qu'il est un prêtre et un haut dignitaire, et qu'elle n'est qu'une bayadère. Elle le repousse.

 Le Grand Brahmane et Nikiya
Yann Saïz - Agnès Letestu

Nikiya, en donnant à boire au fakir, apprend que Solor n'est pas loin, et qu'une fois la cérémonie terminée, il viendra la retrouver. Solor fait le serment sur la flamme sacrée qu'il aimera toujours Nikiya.
Le Grand Brahmane les surprend, et en conçoit de la jalousie. Le fakir prévient Nikiya et Solor de la présence du prêtre: ils se séparent. Le Grand Brahmane jure de se venger.

 Nicolas Le Riche

DEUXIEME TABLEAU -  DANS LE PALAIS DU RAJAH

Le Rajah de Golconde donne une fête en l'honneur de sa fille Gamzatti, qui va bientôt épouser Solor. Il a convié les kshatriyas, amis de Solor.

Gamzatti et le Rajah
Emillie Cozette - Stéphane Phavorin

Le Rajah fait amener sa fille Gamzatti et la présente à Solor qu'il veut lui donner pour époux. Solor, tenu par son serment fait à Nikiya, ne veut pas accepter, mais est obligé d'obéir au Rajah.

L'Esclave et Nikiya
Audric Bezard et  Agnès Letestu


Le Rajah a invité la bayadère Nikiya à se produire pour bénir les fiançailles. Solor, gêné, se dissimule pour ne pas être vu de la bayadère.
Le Grand Brahmane vient trouver le Rajah pour lui révéler les relations amoureuses de Solor et de la bayadère Nikiya.
Furieux de voir ses projets contrariés, le Rajah décide de faire disparaître la bayadère. Le Grand Brahmane, qui souhaitait nuire à Solor, n'avait pas prévu ce coup funeste qui retombe sur Nikiya.

 Gamzatti
Emilie Cozette

Gamzatti, surprenant cette conversation, fait appeler Nikiya pour lui montrer le portrait de son futur époux. Nikiya reconnaît avec effroi qu'il s'agit de Solor! Nikiya refuse de croire Solor parjure. Les deux rivales se querellent. Gamzatti va même jusqu'à offrir des bijoux à Nikiya pour qu'elle renonce à Solor. Nikiya se précipite sur Gamzatti avec un poignard, mais la servante retient son bras. Gamzatti songe à se débarrasser de la bayadère insolente.


ACTE II
LES FIANÇAILLES DE GAMZATTI ET DE SOLOR

Gamzatti & Solor
Emilie Cozette - José Martinez

Le Rajah a convié son peuple à se réjouir pour les fiançailles de sa fille: les danses se succèdent.

L'Idole dorée
Mathias Heymann

Pendant la fête, Nikiya est amenée à danser devant les invités. Aiya, la servante de Gamzatti, présente à la bayadère une corbeille de fleurs. Elle cachait un serpent qui pique mortellement Nikiya.
Le Grand Brahmane intervient pour offrir à Nikiya un contre-poison, si elle accepte d'être à lui. Nikiya - voyant Gamzatti retenir Solor - se laisse mourir, en appelant la colère des dieux sur les responsables de son trépas.


Nikya
Agnès Letestu


ACTE III
PREMIER TABLEAU - LA CHAMBRE DE SOLOR

Solor, désespéré par la mort de Nikiya se réfugie dans les songes que lui procure l'opium.


DEUXIEME TABLEAU - LES OMBRES


Solor voit - longue procession hypnotique- les fantômes des bayadères mortes lui apparaître : parmi elles, Nikiya qui lui pardonne.


Et dans ce rêve, les voilà tous les deux réunis.

vendredi 7 mai 2010

Hommage à Jerome Robbins

Agnès Letestu - Stéphane Bullion

Cette soirée consacrée à Jerome Robbins assortie d’une chorégraphie hommage de Benjamin Millepied est une reprise à l’identique de celle présentée en septembre 2008 dans des distributions assez similaires agrémentées de quelques prises de rôle notamment chez les nouveaux Premiers danseurs. Sur le papier, elle apparaissait plutôt comme un bouche trou entre la création de Siddharta et La Bayadère, deux œuvres autrement plus attirantes et nerveuses dans des styles différents.

En Sol
Florian Magnenet

Les quatre ballets présentés manquent en effet souvent de relief et souffrent parfois d’une faiblesse chorégraphique qui va du convenu au ridicule. Les ballets sont très datés dans le sens où ils s'identifient clairement  à une période.  Soit par leurs mouvements, soit par leurs costumes, ils sont imprégnés d’une époque, d’une ambiance où l’on a du mal à se reconnaître si l’on n’est pas pénétré d’une connaissance de l’histoire du ballet à laquelle nombre de clins d’œil se réfère. Apparaît plus alors au profane, le côté boulevardier poussif de The Concert qui frise souvent la lourdeur misogyne un rien vulgaire, alors que les minauderies d’En Sol semblent d’un autre monde. Il faut alors une solide interprétation pour sortir l’ensemble de sa léthargie instituée.

Le Concert
Eric Monin

Que dire sur Le Concert ? Cela dure trente minutes et c’est déjà beaucoup trop. Qu’on associe un moment aussi poétique qu’In The Night à un humour si grossier paraît hallucinant. Tout au moins, on peut louer le travail des danseurs pour donner différentes formes à ce navrant opus. Dorothée Gilbert dépeint une inconsciente idiote et arrive à arracher les rires des plus simplets à grands renforts de grimaces, mais Mathilde Froustey qui paraît plus volontairement peste, donne un goût amer aux esclaffements. Eve Grinsztajn qui alterne avec le deuxième pas de deux très classe d’In The Night ne semble pas s’être départie de ses airs de bourgeoise et offre un pastiche plus proche des snobs que l’on aime ridiculiser. Au finish, cet humour lourd de fins de soirées fortement arrosées passe fort mal sur la scène de l’Opéra de Paris.

En Sol
Christophe Duquenne

La soirée s’ouvre sur En Sol, promenade à la plage et écho jazzy dans une musique de Ravel pas toujours très liée à l’image. Cet opus se concentre autour d’un pas de deux qui se veut d’une sérénité dépouillée et d’une simplicité accordée aux tenues blanches académiques des danseurs. Les ballerines choisies, mise à part Dorothée Gilbert, sont peu en adéquation avec le thème léger et lyrique et ne s’y illustrent pas particulièrement. Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche, un peu en service minimum,   font un exercice de style parfait qui peut servir de démonstration technique mais qui n’engage pas à la rêverie, presque comme s’il n’y avait pas de rupture entre l’introduction primesautière et le moment de grâce que nous offrent en revanche Christophe Duquenne et Dorothée Gilbert.

En Sol  
 Aurélie Dupont - Nicolas Le Riche

A l’inverse d’Aurélie Dupont, celle-ci arrive à se perdre dans la musique pour se fondre avec son partenaire dans un état d’oubli de soi qui conduit à une fluidité totale suspendant le temps. Emilie Cozette et Marie-Agnès Gillot ont eu des débuts difficiles, aux prises avec leurs partenaires un peu gauches l’impossibilité de se laisser aller, constamment dans un contrôle crispé de leur danse et de leur équilibre. Les choses se sont arrangées pour Emilie Cozette dans sa deuxième représentation avec Josua Hoffalt et son tempérament nonchalant rend le pas de deux à la fois  plus lyrique et sensuel.


Triade
Vincent Chaillet - Nicolas Paul

En écho à cet opus, volontairement on l’espère, dépourvu de sens, Benjamin Millepied passé Outre-Atlantique semble bien avoir incorporé les mouvements légers et aériens, ici malheureusement, insignifiants jusqu’à l’écœurement. La manière un peu caricaturale avec laquelle Benjamin Millepied s’empare du vocabulaire classique, comme si mettre des pointes à une ballerine et imposer quelques pirouettes ou grands jetés savamment dosés pouvaient donner une légitimité incontestée à un ballet dansé par l’Opéra de Paris, évoque un certain manque de maturité chez le chorégraphe. Cela se fait au détriment d’une réelle élaboration intellectuelle de la composition. Si cette structure ne doit pas forcément être lisible, elle ne semble ici même pas exister. Triade est donc le monde rêvé de l’insouciance mais qu’en reste-t-il une fois le rideau tombé ? 

Triade
Audric Bezard

Des agitations plus ou moins réussies et dynamiques selon les moments fétiches des deux distributions, Dorothée Gilbert et Marie-Agnès Gillot, agiles et techniques ne se libérant pourtant jamais pour aspirer à autre chose de plus artistique, de plus moelleux et inspiré. On a l’impression de démonstrations qui se succèdent sans véritable sens et même Marie-Agnès Gillot semble quelquefois en porte-à-faux. En revanche, Muriel Zusperreguy parvient à s’échapper très aisément dans un autre monde : sans avoir la puissance de Marie-Agnès Gillot ou la maîtrise de Dorothée Gilbert, elle possède une façon de surfer sur la musique qui lui est très personnelle et nourrit  infiniment ses mouvements. L’écho chez les hommes est moins appuyé car il y a beaucoup moins de virtuosité, même si la vitesse de rotation de Marc Moreau et la légèreté d’Audric Bezard éblouissent. Dans l’autre distribution, Vincent Chaillet a du mal à cohabiter de manière crédible sur scène avec Marie-Agnès Gillot et Nicolas Paul danse souvent un peu seul.

In The Night
Mélanie Hurel-Mathias Heymann-Delphine Moussin-Stéphane Bullion-Stéphanie Romberg-Vincent Chaillet

In The Night est le morceau phare de la soirée mais là encore, il respire un autre temps que les vingt minutes consacrées ne permettent pas d’historiciser. Trois pas de deux se succèdent sur des Nocturnes de Chopin, de manière plutôt fade sur un fond de scène étoilé. Il faut alors un talent suprême aux danseurs pour faire ressortir du lyrisme ou de l’émotion dans une suite de pas qui peuvent rapidement paraître guindés ou prétentieux lorsque la compréhension (et la capacité de la restituer) est absente.
In The Night est le règne des ballerines même si celles-ci n’y sont pas toujours traitées avec grande considération dans l’essence du ballet. Les hommes souvent ne servent que de faire valoir mais comme il ne se passe pas grand chose d’un point de vue chorégraphique, c’en est paradoxalement presque l’essentiel. Une porté mal lancé, une main mal placée, une pirouette mal gérée et toute la magie disparaît. Plus que jamais ici le sort de la danseuse repose dans les bras de l’autre alors que c’est elle qui, chargée de faire tournoyer sa robe de toutes les manières imaginables, accapare le devant de la scène. C’est simple mais ça peut être grandiose.

Delphine Moussin-Stéphane Bullion-Mélanie Hurel-Mathias Heymann-Vincent Chaillet- Stéphanie Romberg

Le premier pas de deux dans la pénombre déroule une relation qui s’épanouit et Clairemarie Osta y règne sans partage, son partenaire, Benjamin Pech, effacé et attentionné, lui rendant pleinement justice. Mélanie Hurel parvient elle aussi à faire respirer son corps au rythme de la musique, des épaules magnifiques mais Mathias Heymann, sans doute un peu trop jeune pour le rôle, peine à s’investir dans une ambiance de séduction éloignée de la convention des ballets classiques. On reste loin de l’interprétation, car il ne suffit pas ici de sourire, il faut y croire, ou au moins le faire croire. Ludmila Pagliero est précise mais également encore un peu trop appliquée, et Jérémie Bélingard est plus à l’aise avec Muriel Zusperreguy, danseuse caméléon à la personnalité souple, plus rompue aux séductions diverses. Le duo est moelleux et suave, la séduction incarnée.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Le deuxième pas de deux appartient à Stéphane Bullion et Agnès Letestu, lumineux, impressionnants de rigueur dans leur danse mais aussi de malice dans leurs yeux et dans quelques sourires complices pour restituer la connivence du couple dans sa version bourgeoise à l’apogée. Déjà rôdé en 2008, le duo s’abandonne totalement à l’interprétation. Agnès Letestu est magnifique, elle domine tous les aspects de cette œuvre et se livre en confiance à son partenaire dans un jeu de l’amour très subtile. Le tempo ralenti de l’opus 55 de Chopin se met alors au service d’un grand moment de danse et de poésie, une symbiose totale avec la musique mais aussi entre Agnès Letestu et Stéphane Bullion, miroir de sa ballerine : la perfection.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

A côté de ce sommet qui rend presque muet, les danseurs qui se sont succédés sont un peu à la peine, et pas seulement dans le fameux porté tête en bas dont on peut tour à tour attribuer l’inesthétisme à la ballerine ou au ballerino et dont la tournure peut donner une figure gymnique, voire totalement acrobatique qui rompt complètement l’harmonie du ballet. On peut arguer qu’avec La Dame aux Camélias de John Neumeier, Stéphane Bullion venait d’en voir bien d’autres mais il faut avouer qu’il est là aussi stupéfiant de maestria et là où Vincent Chaillet et Karl Paquette serrent les dents avec une ballerine sans forme au bout des bras, son regard évanescent est presque insolent lorsqu’il repose à terre Agnès Letestu, comme déroulant l’aiguille parfaitement rectiligne d’une montre.
Mis à part cet exercice de style, Christophe Duquenne et Eve Grinsztajn arrivent à se détacher des contraintes de cette danse de précision mais sans vraiment développer cette complicité subtile qui donne un relief au ballet. Ils présentent un pas de deux précis et soyeux qui manque juste d’un peu de détachement. Vincent Chaillet et Stéphanie Romberg sont très bons techniquement mais n’arrivent pas à se libérer d’un effort de concentration trop visible alors qu’Emilie Cozette et Karl Paquette semblent être passés totalement à côté de la subtilité de l’œuvre, livrant une danse désincarnée et plate.

Christophe Duquenne - Eve Grinsztajn

Le troisième mouvement est plus contrasté et ouvre plus facilement à l’interprétation mais il est aussi très technique et requiert du danseur une maîtrise du partenariat exceptionnelle. Il semble que l’on estime qu’à l’heure actuelle à l’Opéra seuls Stéphane Bullion et Nicolas Le Riche puissent donner satisfaction dans ce rôle, et il a fallu rappeler le jeune retraité Manuel Legris (peut-être aussi pour faire plaisir à Aurélie Dupont) pour soulager les deux danseurs, bien sollicités cette saison. Trois hommes, mais seulement deux femmes et quatre configurations, la blessure d’Isabelle Ciaravola privant le spectateur de sa charmante complicité avec Stéphane Bullion qui partage donc avec Nicolas Le Riche, le redoutable honneur d'affronter les humeurs de Delphine Moussin.

 Stéphane Bullion - Delphine Moussin 

Ce pas de deux tourne moins autour de la ballerine et Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche ont offert aux spectateurs un moment de théâtre très bien rôdé même si ce dernier semble moins à l’aise pour se débarrasser de la douceur jovial de son visage pour les gestes outranciers de l’homme excédé. Aurélie Dupont en bourgeoise épanouie et exaspérante surjoue avec brio l’enthousiasme, ce qui n’est pas très préjudiciable avec Nicolas Le Riche qui apporte une certaine dérision dans son parti pris théâtral, mais est un peu déplacé avec Manuel Legris, un peu raide et sec, là où Nicolas Le Riche est voluptueux et flamboyant. L’association de ce dernier avec Delphine Moussin qui aborde le personnage de manière complètement différente et dans un autre registre que lui est un peu moins réussie. Le travail de la danseuse est plus fin et plus incisif. Si elle use d’un volcanisme suave très juste, elle va beaucoup plus loin dans l’interprétation et restitue une sensibilité d’écorchée qui dépasse le simple jeu.

Stéphane Bullion - Delphine Moussin

En cinq minutes, cette scénette d’une dispute devient un moment phare et Nicolas Le Riche semble un peu dépassé là où Stéphane Bullion relance le drame et affronte avec insolence et hargne sa partenaire qui devient victime. Plus rapide dans ses déplacements et dans les portés, plus tranché dans ses gestes mimés, il est aussi plus dur dans ses regards et ses attitudes, inflexible dans ses rapports avec Delphine Moussin. Si Nicolas Le Riche peut laisser penser qu’il a pacifié la dispute à la fin du pas de deux, on peut légèrement en douter lorsque Stéphane Bullion, le regard noir et tendu, serre Delphine Moussin dans ses bras en sortant de scène. Mais les plus grands conflits font aussi les meilleures réconciliations et la sensualité des retrouvailles dans le pas de six final est totalement désarmante, le couple transformé dans un bonheur serein mais toujours passionné. 



Stéphane Bullion - Delphine Moussin