samedi 31 décembre 2011

Onéguine

Benjamin Pech

Avec cette reprise d’Onéguine, il faut de nouveau faire abstraction du survol bâclé de Cranko du roman de Pouchkine et de la construction simpliste du ballet qui en fait une histoire d'amour malheureuse sans jamais même d'évocation psychologique dans les rapports entre les personnages.
Le corps de ballet est cantonné dans des danses anodines de remplissage souvent sur une musique pompière qui n’arrange rien. Des Etoiles et Premiers danseurs dans le rôle du Prince, c’est un luxe compte tenu de la faible utilisation de ceux-ci : même si cela permet de remarquer une nouvelle fois la sensibilité parfaite de Christophe Duquenne ou l’ardeur à la tâche de Karl Paquette, il reste que Vincent Cordier et Nicolas Paul n’en sont pas moins parfaits également.

Dorothée Gilbert - Nicolas Paul

C’est sans doute une question de distanciation, mais la manipulation abusive des personnages par Cranko déstabilise fortement. L’accent mis sur les Larine, l’interminable pas de deux avec le Prince, (un personnage qui n’a même pas de nom dans le livre) introduit beaucoup de confusion dans la caractérisation du personnage de Tatiana. Alors qu’il est sans doute destiné à dépeindre le changement qui s’est opéré chez la jeune fille rêveuse qu’Onéguine a refusée, il souligne  avec la plupart des danseuses, une félicité conjugale qui dénote avec l’attitude adoptée dans le pas de deux suivant. La présence forte de Lenski au début du ballet détourne également  l’attention de la psychologie d’Onéguine. En contre point, celui-ci se voit doter d'une variation ridicule au début du troisième acte où il sautille dans la pénombre au milieu d'évocations de ses amours passés,  répondant sans doute en théorie à la même fonction que le pas de deux des Grémine, mais qui en fait, n'apporte rien en pratique. Au finish, Cranko redistribue les cartes de l’histoire qui font de Tatiana un personnage plus important que celui d’Onéguine et à ce jeu, seul Benjamin Pech a vraiment su tirer son épingle du jeu dans cette série.

Isabelle Ciaravola - Christophe Duquenne

Cette saison, force est de constater qu’Aurélie Dupont reste figée dans la personnification artificielle de Tatiana, mais ce que Nicolas Le Riche, son habituel fougueux et imprévisible partenaire n’avait pas réussi à faire en 2009, il était peu probable que le danseur un peu sage de Stuttgart, Evan McKie, allait pouvoir le réussir. De fait, elle délivre les attitudes les plus convenues, de la petite fille, de la grande dame, de la désespérée.

Vincent Cordier - Aurélie Dupont - Evan McKie - Béatrice Martel
Evan McKie, surgi huit jours avant la Première de Stuttgart suite à la blessure de Nicolas Le Riche, en fait les frais. Il est lui-même assez en retrait, ne serait-ce que parce qu’il a choisi de dépeindre un Onéguine un peu trop fat qu’il ne peut pas faire évoluer. Au premier acte, il arrive encore à résumer la lassitude de l’homme envers la vie, mais il dilue  progressivement sa personnalisation jusqu’à l’effacement. Son parti pris discret ne le sert pas dans les actes suivants jusqu’au pas de deux final où sa partenaire, manquant de mesure, fait jaillir une émotion ultra codifiée, voire grossièrement exagérée difficilement crédible compte tenu des deux premiers actes, évoquant plus une comédie à l’italienne un peu vulgaire que la  tragédie psychologique et existentielle de Pouchkine.

Clairemarie Osta - Benjamin Pech 

Les trois autres titulaires d’Onéguine se lançaient dans des prises de rôle et ont finalement offert avec leurs partenaires expérimentées des visions plus intéressantes et finalement bien plus séduisantes dans l'ensemble.

Benjamin Pech a une progression du rôle avec beaucoup de nuances qu’il décline au fil des actes, un premier et un deuxième somptueux dans les affects, mais qui a plus de difficultés à faire ressortir les regrets de l’homme mur. Son Onéguine est pourtant la personne assurée qui rend bien cette attitude dégagée au regard de la vie campagnarde, jusque dans son rapport de supériorité très précis avec Lenski, l’ami dont la joie même l’énerve. Il affiche clairement dans son jeu sur scène la différence entre son tempérament désinvolte et désabusé  en général et son mépris de la vie chez les Larine et de l’attitude de Tatiana en particulier. Son revirement envers Lenski dans le deuxième acte est amené de main de maître. Clairemarie Osta dont la Tatiana est sublime de bout en bout lui donne une réplique engageante qui s’enrichit au fil du ballet.

Clairemarie Osta

Pleine de mesure, elle dépeint une héroïne constamment dans le ton du roman, jusqu’à la parfaite dignité de son désespoir dans le pas de deux final, une vraie réussite ! Dans le rapport Cranko/Pouchkine, ce n’est sans doute pas un hasard si c’est cette distribution de danseurs, acteurs avérés, qui réussit le mieux  à donner de l'épaisseur à la narration, au plus proche du roman et offre ainsi  une trame cohérente et plus fluide de l’histoire.

Isabelle Ciaravola - Mathieu Ganio


Le duo Isabelle Ciaravola-Mathieu Ganio est un peu déséquilibré mais la mesure de l’Onéguine un peu vert de Mathieu Ganio en fait une distribution agréable, surtout lorsqu’elle était soutenue par les seconds rôles les plus crédibles, Florian Magnenet en Vladimir Lenski, totalement désarmant de romantisme naïf. Son solo du deuxième acte atteint des sommets d’émotion, et Muriel Zusperreguy, en Olga Larina, insouciante et légère donne la réplique à merveille, à son fiancé comme à son ami.  Christophe Duquenne est quant à lui un Grémine totalement princier dans son attitude altière face à Tatiana et son partenariat avec Isabelle Ciaravola est encore une fois parfait.

Florian Magnenet


Comme toujours, Mathieu Ganio est servi d’abord par la qualité cristalline de sa danse, et comme il bride ses émotions et son jeu, il est plutôt moins en porte-à-faux que dans certains personnages narratifs qu’il décrédibilise souvent dans un jeu maladroit. Passé le premier solo d’Onéguine un peu scolaire, il habite timidement le personnage mais laisse entrevoir un développement ultérieur prometteur. Comme en 2009, Isabelle Ciaravola est la parfaite héroïne romantique de Cranko,  notamment dans les deux premiers actes magnifiques, mais sa souffrance finale un brin trop théâtrale, compte tenu du peu de challenge de son partenaire qui atteint là ses limites, laisse un sentiment d’inachevé au point de vue des émotions. Peut-être rêve-t-elle encore du piment machiavélique d’Hervé Moreau avec qui elle avait créé le drame romantique parfait en 2009 ?

Dorothée Gilbert

Dorothée Gilbert et Karl Paquette se la jouent sobre. On sait presque dès le début que cela ne marchera jamais entre eux, à la fois parce que Tatiana, distante et triste comme l’héroïne décrite par Pouchkine,  n’est pas si exaltée que ça par Onéguine,  et parce que le scepticisme sur scène de Karl Paquette semble encore plus prégnant que celui d'Onéguine dans le roman envers la vie. Dans cette distribution, Audric Bezard est comme en 2009 un magnifique Lenski, très expressif dans ses émotions et sentiments tant vis-à-vis d’Olga que d’Onéguine ou Tatiana. C’est un peu comme le feu follet du ballet dont la disparition après un solo où il déploie des lignes enchanteresques laisse un vide. La passion du pas de deux de la chambre est plus que mesurée, comme l’ennui que semble lui distillé celui avec son mari, un très digne Nicolas Paul. 

Audric Bezard


Assez paradoxalement, ce duo gagne son intérêt  plutôt dans le dernier pas de deux où Dorothée Gilbert prend le contrepoint de son tempérament fougueux naturel pour livrer une Tatiana tout en souffrance intérieure d’une saisissante justesse et un peu comme Clairemarie Osta, elle offre un instant poignant sans effets théâtraux qui correspond plus à la narration littéraire du choix de la Princesse.

Dorothée Gilbert - Karl Paquette

lundi 12 décembre 2011

24 hours in a man's life

Un livre : Anne Deniau. 24 hours in a man's life. Anyway Editions, 2011, 96 p.
 

24 heures, c’est à la fois court et long, selon ce qu’on en fait, mais lorsque c’est Anne Deniau qui observe Stéphane Bullion, c’est simplement très riche.
Un homme se meut, une plage, une chaise, une table, le sable, la mer, le soleil, la lune, l’horizon. La simplicité, le jeu des harmonies ou son contraire. Les humeurs et les émotions, les sentiments, la respiration.
Un espace et une ambiance institués par les poses et les évolutions du danseur, l’exposition de soi, un dévoilement qui va parfois très loin, mais aussi une mise en relief par le regard de la photographe qui capture les angles, la lumière, fait vivre ces gestes et ces regards, ces sentiments profonds, en fusion avec le personnage sans trahir l’homme.
Le portrait est saisissant parce qu’il montre les ombres et des lumières,  la fréquence, à la fois cru et sophistiqué, il va bien au-delà de l’Etoile, il va au cœur d’une identité tout en conservant le mystère. Chaque photo raconte une histoire, un petit moment de vie et de sensibilité déclinés en camaïeu qui emmènent passionnément jusqu'au bout de ces 24 heures. On y retrouve à travers les clairs obscurs, la lumière, les expositions de dos ou frontales, l’émotion et la sincérité de l'artiste.

Anne Deniau. 24 hours in a man's life. Anyway Editions, 2011, 96 p.

Une exposition : Palais du Tau à Reims du 7 février au 2 juin 2012




Un film faisant partie du projet est annoncé : Première le 5 avril 2012



Trailer VOST / " 24 hours in a man's life" from Anne Deniau on Vimeo.

Information chez Anne Deniau

dimanche 11 décembre 2011

Onéguine 9-31 décembre 2011



Onéguine
ballet en trois actes
Livret de John Cranko d'après le roman Eugène Onéguine d'Alexandre Pouchkine
Musique - Piotr llyitch Tchaikovski extraits d'opéras et de pièces pour piano
Chorégraphie et mise en scène - John Cranko (1965)
Décors et costumes - Jürgen Rose
Lumières - Steen Bjarke

Orchestre Colonne
Direction musicale de James Tuggle

La description synoptique du ballet se trouve dans l'entrée sur le ballet de 2009 Onéguine 16 avril-20 mai 2009


Distribution de la Première, 9 décembre 2011

Eugene Onéguine Evan McKie
Lenski Josua Hoffalt
Tatjana Aurélie Dupont
Olga Myriam Ould-Braham
Prince Grémine Karl Paquette

Evan McKie

vendredi 25 novembre 2011

Première de Cendrillon, 25 novembre 2011



Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Début de saison plutôt en demi teinte après le Phèdre particulièrement daté, le Psyché excessivement pompier et une Source terriblement ennuyeuse, le ballet peut-être le moins réussi de Rudolf Noureev s'installe à l’opéra Bastille pour les fêtes de fin d’années. Il faut alors faire abstraction de l'histoire cul-cul, de la transposition empreinte d'obsessions à peine cachées, pas toujours de bon goût,  des costumes  plutôt ratés (encore!) et s'intéresser aux danseurs.  

Dans l’immensité de ce temple d’une froideur extrême, l’intérêt principal de cette Première se trouvait donc dans le mélange de générations dans certains duos comme dans le corps de ballet, ici un peu sous employé, même si on retrouve le style délirant et exigeant de virtuosité de Rudolf Noureev.

Pour la Première, l’opéra avait timidement inséré quelques prises de rôle au sein de l’artillerie lourde de la hiérarchie du ballet où il ne manquait que Mathias Heymann blessé, trois Etoiles et six Premiers danseurs prenant les choses en main.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu - Christophe Duquenne
En tête d’affiche, le couple de majesté désormais établi Stéphane Bullion/ Agnès Letestu, avec l’Acteur-vedette en impétrant,  mais aussi le duo Mélanie Hurel/Ludmila Pagliero en Sœurs suscitaient intérêt et curiosité. Ils évoluaient  donc parmi les expérimentés Christophe Duquenne, professeur désabusé, Karl Paquette et Stéphane Phavorin dans les rôles du Producteur/fée et Marâtre.

Passé l’effet premier acte où la mise en histoire est un peu longue voire répétitive, c’est dans la déraison dérisoire d’Hollywood qu’entraîne Rudolf Noureev avec des tableaux plus réussis que d’autres, des touches d’humour ou de mauvais goût qui, somme toute, se perdent un peu dans l’esprit loufoque du ballet et ont le mérite de ne jamais durer.

Agnès Letestu

Le ton général du ballet pourtant est donné par Agnès Letestu qui joue  avec l’interprétation de manière étonnante. Ceux qui cherchent l'ambiance festive du conte de fée en seront pour leur frais. D’entrée Agnès Letestu  étale sa mélancolie, son regard perdu et sa danse cristalline consacrant le gris de sa vie. Elle ne s’enlumine que lors de son dialogue à claquettes avec le portemanteau, mais cela n’influe pas sur la tonalité morose de l’œuvre.

Malgré son costume de cendre qui se perd dans le fond du décor, elle vampe l’histoire et dirige l’ambiance par son aura mélancolique, ne frôlant heureusement  jamais la tristesse qui susciterait la victimisation. Les pics d’humour lancés par les conflits de famille, puis l’excellent Christophe Duquenne, n’en sont alors que plus mis en relief, recentrant constamment l’intérêt sur son personnage.

Ludmila Pagliero - Agnès Letestu - Mélanie Hurel (et Stéphane Phavorin)

Mélanie Hurel et Ludmila Pagliero forment un duo réussi aux pointes acérées dans de jolies prouesses techniques. Sans en faire trop, elles ont juste ce qu’il faut pour tenter constamment l’intervention drolatique de Stéphane Phavorin qui a su éviter le vulgaire parfois vu dans ce rôle. Karl Paquette en producteur, n’a pas grand-chose à faire si ce n’est prodiguer ses bienfaits.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Au deuxième acte, Agnès Letestu passe le relais à un Stéphane Bullion, plein d’aplomb, acteur vedette pressé d’en finir avec les sœurs qu’il écarte poliment mais fermement. Un peu bougon sur le plateau lors des tentatives des jeunes filles,  à peine séducteur et plutôt charmé par l’apparition de Cendrillon, il s’épanouit au contact de la jeune fille plutôt intimidée au départ que présente Agnès Letestu.

Le duo n’en est que plus émouvant et l’on retrouve quelques touches surprenantes de la naïveté adolescente aux premiers émois chez ces deux géants. Stéphane Bullion n’est plus l’Acteur-vedette charismatique, mais le jeune homme intrigué.  Les yeux s’écartent alors, le cou se tend, l’amour le transforme. La musique de Prokofiev jouée avec une certaine mollesse  prend alors tout son relief et le duo de charme autour du tabouret reste un moment original d’une douceur et d’une sérénité absolue. 

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Le court troisième acte où la famille pénible se transforme en Espagnole, Chinoise et Russe, présente des danses de caractère plutôt bien agencées et assez roboratives dans la traditionnelle course à l’essai de pantoufle. Ludmila Pagliero en sensuelle Espagnole ne rend rien à Mélanie Hurel, Chinoise absolument envoûtante.

Stéphane Bullion - Ludmila Pagliero

Puis, de retour dans le « ciné-food »,  c’est l’essai en famille, la résignation de Cendrillon à dévoiler son secret à la vue de son prince, et le pas de deux magique du dernier acte. C’est convenu mais la danse est belle lors du dernier pas de deux. On fait enfin  abstraction des costumes plutôt tartes pour se laisser porter par les envolées lyriques de l’amour accompli. C’est quand même un conte de fée,  et même si le ballet n’a pas grand-chose à apporter, il est bien ficelé et il évite tout au moins le message misérabiliste et moraliste délivré habituellement.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu


Distribution de la Première 25 novembre 2011

Cendrillon Agnès Letestu
L'Acteur-vedette Stéphane Bullion
Les Soeurs Mélanie Hurel/Ludmila Pagliero
La Marâtre Stéphane Phavorin
Le Producteur Karl Paquette
Le Professeur Christophe Duquenne


Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Cendrillon 15 novembre-31 décembre 2011


Cendrillon
Ballet en trois actes d'après le conte de Charles Perrault
Adaptation, chorégraphie et mise en scène - Rudolf Noureev
Musique - Serguei Prokofiev (1945)
Décors - Pétrika Ionesco
Costumes - Hanae Mori
Lumières - Guido Levi

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Orchestre de l'Opéra de Paris
Direction musicale - Fayçal Karaoui
Production créée pour le Ballet de l'Opéra de Paris le 25 octobre 1986

La description synoptique du ballet se trouve dans l'entrée sur le ballet de 2007 Cendrillon 10 avril-11 mai 2007

Stéphane Bullion - Agnès Letestu

lundi 14 novembre 2011

Les danseurs de l'ONP en photos, version 2


Lartillot, Christian, Danseur : Étoiles et premiers danseurs de l'Opéra national de Paris (préface par Brigitte Lefèvre). Paris : Verlhac Éditions, 2011. 140 p.

samedi 12 novembre 2011

Rencontre Cendrillon


Rencontre Cendrillon, Amphithéâtre Bastille, 12 novembre 2011
Avec Jérémie Bélingard et Laëtitia Pujol
Florence Clerc (répétitrice) et Andrea Turra (chef de chant)


mercredi 2 novembre 2011

La Source


Première création d’un ballet narratif depuis Les Enfants du Paradis de José Martinez et  le plus original Siddharta d'Angelin Preljocaj, La Source ne s’aventure pas sur des sentiers vierges puisqu’il se propose de revisiter le ballet perdu de Charles Nuitter et Arthur Saint-Léon. Parti pris à moitié séduisant lorsqu’il cherche à s’éloigner d’une reconstitution impossible (et sans doute non souhaitable, car ce n’est jamais très bon, lorsqu’une œuvre tombe dans l’oubli) et qu’il propose une chorégraphie et une scénographie modernes, mais sérieusement handicapant lorsqu’il récupère une musique pas vraiment mémorable et une histoire impossible. Or, si l’ensemble, et en particulier le fil de la narration, mérite d’être considérablement retravaillé afin de gommer beaucoup de maladresses et d'impasses, il est douteux que la musique soit remise en question pour de futures reprises. Il est difficile de comprendre à ce sujet qu’on ait pu exhumer une  musique pareille au XXIe siècle, d’autant plus qu’elle semble indissociablement liée à l’histoire ridicule qui est proposée.

Ludmila Pagliero
La dramaturgie est donc l’autre faiblesse du ballet. Il ne suffit pas de s’adjoindre un pro du théâtre pour éclaircir une histoire nébuleuse et surtout la transformer en narration chorégraphique. Il est surprenant que Jean-Guillaume Bart signe avec Clément Hervieu-Léger cette responsabilité pour un si piètre résultat.
Si l’écriture chorégraphique est plaisante et ne s’aventure pas grossièrement comme il a été vu chez Alexeï Ratmansky avec Psyché dans le copié collé à la va-vite – on sent que Jean-Guillaume Bart tout en s’inspirant bien sûr de ses aînés les a mieux digérés et a beaucoup réfléchi et travaillé sur ce ballet avec un peaufinage des pas et des enchaînements notamment- elle échoue à raconter l’histoire en ne caractérisant pas suffisamment  en profondeur les personnages, et ceci d’autant plus qu’elle n’est pas soutenue par une dramaturgie claire qui permettrait de leur donner une âme et de les faire dialoguer. En même temps, que faire avec cette musique ! Peut-être Jean-Guillaume Bart s’est-il oublié dans l’écriture de pas virtuoses qui n’appellent pas à la richesse significative, ce qui se retrouve dans l’incohérence de l’histoire qui va au-delà du conte merveilleux à prendre comme tel (que font par exemple tous ces Caucasiens  en fourrure dans le harem du Khan où ils sont bien plus habillés que les demoiselles ?). Or quand la technicité ne raconte rien, elle s'apparente à un défilé de variations qui à la fin ressemble à un concours... et c'est ennuyeux. Dans ce cas, il ne sert à rien de concurrencer Mathias Heymann qui éblouit de mille feux de la manière la plus flamboyante, dans le seul rôle au caractère bien défini (avec dans une moindre mesure, celui de Mozdock). Jean-Guillaume Bart a choisi de faire bondir le premier à la Puck, mais celui-ci semble vite réduit à reproduire comme au cirque une leçon de virtuosité bien apprise sur sans doute le thème musical le plus difficile à supporter du ballet, et qui lasserait bien vite après un premier effet clinquant, s’il se passait autre chose dans l’histoire.
 
Alessio Carbone et Adrien Bodet, Allister Madin, Fabien Révillion, Hugo Vigliotti
Or, c’est là la principale faiblesse de La Source, il est difficile de comprendre ce qui motive les personnages sur scène, ils sont souvent comme juxtaposés avec peu d'interaction, comme venus faire leurs variations. Même si le Khan ne danse pas beaucoup, son personnage est à peine différencié de celui de Mozdock, le Caucasien, qui culturellement devrait lui être éloigné. Djémil est l’opposé de Mozdock, mais pourquoi ? D’où vient Djémil d’ailleurs ? Pourquoi le héro apparaît-il  comme un faible, passif dans l’histoire ? Très intéressant a priori, mais rien chez Djémil ne suscite l’intérêt. Il arrive, réalise ses variations monocordes et peu fluides comme son peu de pantomime, puis repart. Impossible de comprendre pourquoi il préfère Nouredda à Naïla, et d’ailleurs, cela ne se voit même pas sur scène, sauf à la toute fin dans les meilleures interprétations. Si l'énergie brute du frère de Nouredda se perçoit bien, mais là aussi atteint vite ses limites dans la répétition des mouvements, il est difficile de comprendre pourquoi le héros est un personnage si fade et si insignifiant.

Christophe Duquenne (Mozdock) - Karl Paquette
Même son costume est passe partout. Il s’agit peut-être aussi d’une erreur de casting, la puissance d’un petit baroudeur à la Jérémie Bélingard aurait sans doute plus marqué que les trois danseurs "princiers" choisis pour le rôle. C’est aussi sans doute pour cette raison qu’on ne sent aucune attirance chez Nouredda, et à peine chez Naïla, et vice-versa, réduisant à néant le propos de l‘histoire.
A observer les personnages féminins, tout porte à penser que le problème de la chorégraphie est aussi à chercher dans la longueur du ballet et le défilé des variations dévolues à chacun. Jean-Guillaume Bart a trop voulu montrer de la danse pour de la danse, oubliant que le ballet narratif doit raconter et parfois sacrifier à la virtuosité, prendre des temps mots pour que les corps et les regards s'expriment aussi d'une autre manière que sur pointes ou en arabesques (ce qui de toute manière n'est pas non plus lisible ici).
Le personnage de Nouredda est celui qui évolue le plus clairement au cours du ballet, de la jeune fille mélancolique à la danse langoureuse, à la naissance de la jalousie avec une danse plus offensive, puis le retour au romantisme neurasthénique, mais celui de Naïla, pourtant central, souffre d’un monolithisme ;  pas franchement bien dessiné dans le monde des elfes (seule Charline Giezendanner a su enluminer ce passage) ou dans l’évocation de son amour pour Djémil, voire au Palais du Khan. A la fin, Naïla, personnage irréel dans le sens propre du terme, besogne comme les autres sur scène dans des variations pas spécialement aisées qui de toute manière, la condamnent à paraître exister. En revanche, le rôle de Dadjé, plus court, permet chorégraphiquement et humainement de montrer une favorite plutôt sûre d’elle qui, dans le jeu, va pouvoir montrer sa jalousie et son incompréhension, mais elle n’apparaît que très peu dans le ballet.


Muriel Zusperreguy

Au finish, ce sont les personnages secondaires qui ressortent le mieux  Toute cette accumulation de peu de caractérisation dans une histoire plutôt tirée par les cheveux, livre un ballet sans âme et surtout sans sentiment. Le ballet est plat et sans passion, ce qui rend l’histoire d’amour peu lisible. Sans moteur,  il avance inexorablement avec monotonie vers la fin laissant le spectateur à la porte, sans aucune émotion, même lors du sacrifice ultime de Naïla qui meurt par amour dans la plus parfaite indifférence, car d’amour et de romantisme dans ce ballet, il ne semble pas y en avoir, alors qu’à lire le synopsis, il en est rempli…


 Les odalisques : Pauline Verdusen - Eléonore Guérineau

Les personnages insuffisamment épais du point de vue du caractère narratif  sont différenciés par leur apparence. Ils sont dotés de costumes aux couleurs chatoyantes, à la fois quand lorsque Christian Lacroix s’aventure dans le style Bollywood ou dans le style chaleur de l’hiver pour les Caucasiens, mais ceux-ci semblent bien souvent contreproductifs à la danse et analytiquement peu satisfaisants.  Même  les odalisques vêtues de voiles sont parées de coiffes qui semblent peser lourdement sur leurs têtes. La robe de Naïla est vraisemblablement la raison pour laquelle la danseuse apparaît  terrienne, le bouffant sur les hanches lui donnant l’aspect d’une amphore et le voile léger ne donne jamais d‘amplitude similaire et la fait gonfler dans les sauts.  Ce volume assez déroutant se retrouve aussi dans la danse des Nymphes qui, sur les photos sont splendides mais dont l’évolution semble contrariée par un certain défaut d’apesanteur.

Les Nymphes
La pauvre Nouredda est affublée au début et à la fin d’une tenue bicolore du plus kitch (cela dit, elle lui permet au moins d’être clairement distincte sur scène), et à la cour du khan, d’un rose pas franchement heureux, qui arrive même à raccourcir les jambes interminables d’Isabelle Ciaravola ! Ses camarades caucasiennes sont attifées de costumes qui semblent taillés dans du tissu d’ameublement et double leur volume, masquant leurs mouvements… refaire le ballet romantique au XXIe siècle réclame plus que l’esthétique approximative évoquée par ces costumes.
Bref, Christian Lacroix a un style, c’est un grand couturier de renommée mondiale, mais il n’a pas su s’adapter à la morphologie des danseuses et au côté pratique de leur art, voire s'insérer dans la narration (il est vrai pauvre) du ballet.

Ludmila Pagliero - Karl Paquette


A l’inverse, et peut-être heureusement, ces personnages évoluent sur une scène plutôt dépouillée, avec le thème de la corde décliné à travers les actes de manière plutôt agréable. Pourtant, difficile de deviner l’univers de la source au début, et surtout où se situe le dernier tableau, la scène étant désespérément vide. Le palais du Khan est suggéré avec habileté et semble vivre  grâce aux costumes des odalisques, comme si Eric Ruf avait voulu sauver Lacroix. Un effort sur le dernier acte aurait sans doute laissé une meilleure impression générale car la mort de Naïla dans les bras de Zaël dans la pénombre laisse un goût d'inachevé.

Isabelle Ciaravola

Peut-être la plus grande déception de cette création est l’éventail restreint des danseurs choisis. Trois distributions seulement, c’est vraiment peu pour dix huit représentations (ce qui est vraiment beaucoup trop pour une création) et peu de précaution quant à l’éventuelle blessure d’un danseur, sinon probable, du moins potentielle, qui, par malheur ici est justement arrivée sur le rôle titre avec l’indisposition de Laëtitia Pujol.

Charline Giezendanner

Il est difficile d'accabler les danseurs qui ont dû faire face à l'indigence dramatique qui leur était proposée sans aucun repère d'antériorité tout en apprenant une chorégraphie peu aisée. Certains ont réussi à faire passer quelque chose, d'autres non, mais dans l'ensemble, cela n'a guère relevé le ballet, même dans le meilleur des cas, les associations par soirées n'ayant pas réuni les éléments les plus adéquats.
Les solistes choisies pour danser Naïla ne semblent pas maîtriser complètement le rôle difficile, entre technique exigeante et peu de marge d’interprétation. Ludmila Pagliero à la danse parfaite fait un joli travail pour paraître immatérielle mais il manque peut-être un peu de magie pour lui faire dominer le ballet. Charline Giezendanner, avec un naturel charmant et juvénile, est peut être celle qui s’en tire le mieux, émerveillée dans l'insouciance et la séduction, triste et émouvante dans son amour déçu. Elle est très à l'aise dans le monde des elfes qu'elle représente parfaitement. Myriam Ould-Braham,  minaude trop et fait stagner un personnage bibelot sans aucune personnalité. 

Josua Hoffalt - Muriel Zusperreguy


Dans le rôle de Nouredda, sans doute le mieux défini, Isabelle Ciaravola et Muriel Zusperreguy sont particulièrement justes et c’est ici que le peu d’émotion du ballet se lit, dans les regards perdus du premier et du troisième acte où le dernier pas de deux très néo-classique avec Djémil est le seul moment vraiment émotionnel de la soirée, si l'on excepte le regard perdu de Charline Giezendanner au moment où elle comprend qu'elle n'aura pas Djémil.  Cependant, il faut encore avoir cette ressource interprétative qui fait défaut à  Laura Hecquet trop raide et monolithique qui  passe complètement à côté du rôle avec un côté prussien un peu consternant.


Charline Giezendanner - Florian Magnenet
Le Djémil de Josua Hoffalt est plus autoritaire que celui de Karl Paquette, celui de Florian Magnenet plus noble et plus aérien, plus naïf aussi dans son rapport avec Naïla et le monde des elfes, mais dans l’ensemble, le rôle n’a rien à imposer, cela tourne un peu en rond, le chasseur étant désavantagé il est vrai  par ses variations peu inspirées et sa tenue décalée, peu visible sur le fond sombre et dans les lumières tamisées de la scène.
Au finish, la paire très fraîche et spontanée formée de Charline Giezendanner et Florian Magnenet apparaît comme la plus harmonieuse dans le couples Naïla/Djémil, alors que Josua Hoffalt et Muriel Zusperreguy dans leurs duos sont les plus  narratifs dans celui de Djémil/Nouredda. Dans cette configuration, le ballet semble prendre un sens dans l'amour que porte Djémil à Nouredda mais Florian Magnenet arrive bien de son côté à rendre son étonnement puis son rejet de l'amour de Naïla. Ce sont là les quelques reliefs de l'interprétation de l'histoire.


Aurélien Houette
Mais dans l'ensemble, c’est plutôt chez les personnages de caractère comme Mozdock où excellent Vincent Chaillet, Christophe Duquenne et Aurélien Houette, le côté caucasien  comme chez les filles, qu’il faut chercher les satisfactions. Au Mozdock fort et emphatique de Vincent Chaillet, hélas blessé en cours de série, on trouve le plus sentimental Christophe Duquenne, peut-être parce qu'il alterne sur le ballet avec le personnage d'un Khan très autoritaire qu'il a cherché à différencier (les danseurs sont après tout affrontés à des cas d'incohérence pratiques que les chorégraphes ne mesurent pas complètement) doux avec Nouredda mais ferme dans ses idées de transaction maritale, alors qu'Aurélien Houette qui remplaçait Stéphane Phavorin, impose sa force et son regard impitoyable.

Allister Madin

Le personnage de Zaël, lutin aérien dans tous les sens du terme, tire finalement toute la gloire du ballet. Il en magnifie totalement l'esprit, celui du conte et celui de la virtuosité voulue par Jean-Guillaume Bart.  Ses apparitions  apportent de toute manière des bouffées d'air bienvenues dans l'atmosphère lourde de l'ennui. Il est magistralement dansé par Mathias Heymann pour qui le rôle est visiblement créé,  mais qui parfois se laisse aller à cette aisance technique  qui tourne à la leçon (en même temps, difficile de le lui reprocher, le ballet ne semble tenir que par ça).  Alessio Carbone l’aborde plus subtilement, jouant d’effets de pantomime dans les parties non dansées et s'insérant mieux dans  le cours de la narration alors qu'Allister Madin s'en sort également très bien, ludique à souhait dans les cordes, plus terrien sur le tapis, mais avec un enthousiasme très communiquant.

Isabelle Ciaravola-Mathias Heymann


dimanche 30 octobre 2011

Le Ballet hors les murs : Biarritz, 28-29 octobre 2011


La composition des ballets est disponible dans l'entrée  du 3 février 2009.

Le ballet de l’Opéra de Paris prenait ses quartiers les 28 et 29 octobre dans la gare du Midi de Biarritz, temple du ballet Malandain,  avec son agréable affiche "Lifar/Petit/Béjart", c'est-à-dire Suite en blanc/l’Arlésienne/Le Boléro, qui fonctionne très bien dans les  tournées de la compagnie par la diversité de style des ballets, leur minutage agréablement harmonieux et le peu de décors nécessaires à leur  réalisation technique.

Stéphane Bullion avec Aurélie Dupont, Clairemarie Osta et Mélanie Hurel
Par ailleurs, c'est un programme qui permet à la Maison parisienne de présenter, ailleurs qu’en son sein, ses Etoiles et faire une démonstration du prestige de l’Opéra avec la plupart de ses solistes, les distributions composant uniquement avec les contraintes des ballets se déroulant au même moment à Paris, Caligula en février à Moscou, La Source cette semaine. 
La Compagnie reprendra cette affiche de chorégraphes français dans sa tournée outre-Atlantique de juin-juillet aux Etats-unis d'Amérique.

Suite en Blanc
Serge Lifar

Stéphane Bullion - Clairemarie Osta
Suite en blanc a donc la particularité  de se composer de multiples soli de virtuosité où chacune des Etoiles éblouit, tour à tour, ou en groupe pour un final étourdissant, ne laissant pas le public dans l'attente tellement le rythme des démonstrations est soutenu. Un corps de ballet non moins sollicité dans son excellence, entoure et met en valeur chaque intervention des vedettes par des ensembles aux lignes très structurées et très vives.

Dorothée Gilbert
Bruno Bouché, Florimond Lorieux, Yann Chailloux
Dorothée Gilbert, qui a débuté dans Sérénade le premier soir -remarquablement reprise par Amandine Albisson une fois l’Etoile passée sur La Flûte- livre ici son meilleur cru, ajoutant, après la Première assurée par de la délicate Clairemarie Osta, à sa musicalité et sa technique superlative, une sensibilité interprétative particulièrement réussie. 

 Stéphane Bullion - Aurélie Dupont

Agnès Letestu retrouve avec la Cigarette sa variation d’anthologie. Elle y montre une nouvelle fois distinction et autorité suave avec un rien de détachement qui l’humanise, alors qu‘Emilie Cozette le samedi après-midi y faisait un retour malicieux et efficace après sa blessure du printemps.
Dans l’adage, le nouveau partenariat Stéphane Bullion-Aurélie Dupont étalait son entente parfaite déjà perçue dans Psyché et qui semble susciter des idées d'approfondissement. Malgré les personnalités contrastées des deux danseurs, cette paire élégante est ici magnifiée par la solennité de l’ouvrage qui requiert la perfection du geste mais aussi un soupçon  de chaleur délicate présente dans une interprétation paisible et assurée d'une rare subtilité.

Agnès Letestu

L'oeuvre de Serge Lifar  a l’intelligence de dérouler un crescendo présent dans sa musique. Elle fait monter la tension à l’apogée dans le final qui affiche les morceaux de bravoure, les garçons dégainant une ligne de tours en l’air impeccables et les manèges de jetés impressionnants de Stéphane Bullion et Mathieu Ganio déclenchent les premiers applaudissements de la soirée. Les filles avec notamment Agnès Letestu dans des fouettés réglés au métronome ou Aurélie Dupont au manège à l’allure de lancement de fusée, ne sont pas en reste dans le brio.

Stéphane Bullion

Pour tout dire, Suite en Blanc, dans son parti pris classe et flamboyant, affichait ce week end à Biarritz,  une compagnie au meilleur de sa forme et le plaisir du public était très expressif. Le ballet de Lifar lançait la soirée sous les meilleurs auspices.

Julien Meyzindi-Clairemarie Osta, Stéphane Bullion-AurélieDupont, Mathieu Ganio-Agnès Letestu, Audric Bezard-Dorothée Gilbert


L'Arlésienne
Roland Petit

Clairemarie Osta - Benjamin Pech
Suite au désistement de Jérémie Bélingard, c’est Alessio Carbone, appelé à la rescousse entre deux Zaël dans la Source, qui s’est emparé de l’opus de Roland Petit, l’Arlésienne,  aux côtés de Benjamin Pech, avec Clairemarie Osta comme partenaire.

La musique de Bizet est familière, le public est attentif, puis captivé par cet ouvrage très nourri qui étale la maestria de Roland Petit dans l’art de la narration. Le chorégraphe a ici vraiment réussi à transmettre dans ses pas et mouvements, une véritable marque des événements et des sentiments des héros et de son corps de ballet.
Alessio Carbone et Benjamin Pech font évoluer leur personnage à un rythme et dans une intensité différente. Le premier, un peu plus fougueux,  joue plus sur la candeur et la spontanéité d’un homme perdu, Benjamin Pech sur une noirceur interne aux multiples facettes. 

Alessio Carbone - Clairemarie Osta

Clairemarie Osta, très sollicitée ce week-end, s’accommode des deux tempéraments avec sa remarquable musicalité. Elle dresse le portrait d’une Vivette simple, attentive et au désespoir contenu, dans un rôle parfois ingrat dans la chorégraphie qu’elle remplit de richesse humaine et de douceur.

Le Boléro
Maurice Béjart

Nicolas Le Riche
A peine quelques minutes pour digérer la mort de Frédéri que la musique lancinante du Boléro fait apparaître les mains de Nicolas Le Riche et son rythme progressif qui frôle la folie que Frédéri venait d‘évoquer. C’est alors parti pour 15 mn de bonheur où le danseur fait montre de maîtrise absolue du geste et joue avec sa puissance, sa rapidité  et son ballon, sans être en reste avec ses regards expressifs, dans les pauses provocantes comme dans les sauts à la force brute.
Marie-Agnès Gillot, le samedi après-midi, paraît elle plus posée et mécanique, elle semble vouloir insister sur la musique avec un phrasé marqué un peu lourdement là où Nicolas Le Riche la survole avec légèreté et grâce.

Nicolas Le Riche

Nicolas est le lutin aérien qui semble grandir au fur et à mesure qu’il bondit et se déploie sur son tapis rouge, devenant lun leader charismatique expressionniste aux accents sexuels parfois très exacerbés alors que Marie-Agnès Gillot déploie ses bras tentaculaires pour envoûter plus discrètement le public.
Deux interprétations à l’opposé mais qui mènent de mains de maître un corps de ballet dirigé  avec autorité par Bruno Bouché et Yann Saïz et qui laissent la salle éblouie, debout au bord de l’extase le 29 au soir, alors que Nicolas Le Riche, épuisé, se laisse aller à une joie toute bonhomme. Un grand moment pour terminer cette très belle soirée des styles français du 20e siècle. 

Nicolas Le Riche