mardi 26 mai 2009

Proust ou les intermittences du coeur 27 mai-8 juin 2009


Proust ou les intermittences du coeur

Ballet en deux actes et treize tableaux inspiré du roman de Marcel Poust A la recherche du temps perdu
Chorégraphie et mise en scène - Roland Petit (1974)
Musiques - Ludwig van Beethoven, Claude Debussy, Gabriel Fauré, César Franck, Reynaldo Hahn, Camille Saint-Saëns, Richard Wagner
Décors - Bernard Michel
Costumes - Luisa Spinatelli
Lumières - Jean-Michel Désiré
Ballet entré au répertoire de l'Opéra de Paris le 1er mars 2007

La description synoptique du ballet se trouve dans l'entrée sur le ballet de 2007 "Proust ou les intermittences du coeur"


Morel
Stéphane Bullion

Le ballet de Roland Petit s’attache à évoquer le sentiment amoureux dans l’œuvre de Proust A la recherche du temps perdu. Il procède par impressions qui prennent forme dans des tableaux où personnages ou couples sont traités sur le mode des rapports amoureux. Dans la première partie, il dépeint "le paradis", c’est-à-dire, la légèreté de l’amour qui serait "bien vu" même si homosexuel dans le cas d’Albertine et Andrée, ou frustré dans celui de la prisonnière. Comme dans un acte blanc, les lumières sont claires, les personnages habillés de même, les rares décors du ballet évoquant la légèreté, l’insouciance… C’est aussi le monde des femmes…

Saint-Loup et Morel
Florian Magnenet et Stéphane Bullion

Dans la deuxième partie, on entre dans l’amour interdit, bien souvent homosexuel comme un acte noir avec une débauche d’hormones mâles. C’est l’occasion de montrer le côté charnel de l’amour plutôt évoqué sous forme de sentiment au premier acte. Les hommes en noir, les femmes en couleurs violentes comme le rouge, les lieux sombres –la maison close, l’auberge où Monsieur de Charlus se fait fouetter- et les costumes sombres, à l’exception de la scène des rencontres dans l’inconnu et du pas de deux d'anthologie entre Morel et Saint-Loup qui soulève à cet égard plein d’interrogations. Il débouche sur le final apocalyptique de la fin d’un monde, lourd et pesant qui replonge dans le noir…


Saint-Loup et Morel
Florian Magnenet et Stéphane Bullion

ACTE I - Quelques images des paradis proustiens

Pour introduire son ballet, un tableau non dansé met en scène quelques personnages en costumes qui fréquentent le salon de Madame Verdurin où un chanteur lyrique divertit les habitués. Cette installation dans une atmosphère est aussitôt prise à contre pied par l’apparition comme magique d’un couple mixte qui danse la petite phrase de Vinteuil. Cette évocation de la rencontre d’Odette et Swann est le paroxysme de l’idéalisation de l’amour puisqu’il n’est pas encore consommé… Les danseurs en blanc livrent un pas de deux de la douceur et de la sérénité dans une abstraction totale de sentiment. C’est l’accord par le geste et le mouvement.

La petite phrase de Vinteuil
Laura Hecquet et Christophe Duquenne

Les tableaux qui montrent Gilberte, Odette et Swann, Andrée et Albertine, puis Proust jeune [le narrateur] et Albertine, sont traités avec légèreté dans la musique comme dans la danse, même si quelquefois ils ont trait à des événements moins anodins, les doutes de Swann au sujet d’Odette, l’homosexualité d’Albertine.

"Les aubépines" ou les mots-fées"
Mathilde Froustey

Roland Petit reprend alors le ton détaché que Proust utilise pour décrire ces épisodes dans son langage gestuel qui lui est propre. D’un point de vue chorégraphique, cette légèreté est rendue un peu trop simplement pour marquer le spectateur et certains moments sont terriblement ennuyeux.

"Les jeunes filles en fleurs" ou les vacances enchantées
Caroline Bance et Isabelle Ciaravola

Lorsqu’on arrive au pas de deux de la prisonnière qui s’ouvre sur un solo de l’homme, la superficialité des précédents tableaux est présente à l’esprit mais on plonge soudain dans la gravité, voire la douleur, en particulier avec Hervé Moreau qui traite le personnage très intérieurement. Sa partenaire, Isabelle Ciaravola, endormie, semble beaucoup plus à l’aise que dans les deux tableaux précédents. La transcription de l’homme rongé par ses pensées est admirablement bien réalisée dans la chorégraphie et incorporée par Hervé Moreau, tour à tour regard noir puis extase… Un moment qui préfigure le deuxième acte.


"La regarder dormir" ou la réalité ennemie
Hervé Moreau

Christophe Duquenne, un autre beau "Proust jeune" (le narrateur), est plus lyrique, beaucoup moins dévoré et introverti. Il est pourtant d'évidence en souffrance. Il vit le rôle avec intensité, plus impétueux qu'Hervé Moreau et répond parfaitement à Eleonora Abbagnato qui nourrit un personnage aussi très glamour, moins simple qu'Isabelle Ciaravola ou Dorothée Gilbert. Ces deux danseurs très différents se mêlent ici admirablement et dansent vraiment à l'unisson.

Christophe Duquenne

ACTE II - Quelques images de l'enfer proustien

Mis à part un final un peu trop long mais qui est très évocateur de la fin d’un monde, le deuxième acte est l’inverse du premier par sa noirceur, son intensité et la qualité narrative de ses tableaux.

Stéphane Bullion

Morel est le fil conducteur de l’acte. C’est un homme libre qui n’a pas les contraintes de la société précédemment décrite. Il est l’antithèse de Charlus, vieux baron coincé, qui est amoureux de lui et se ronge de faire des folies pour un jeune homme aussi libertin.
Dans le tableau de la rencontre où Charlus rêve qu’il est un violoniste célébré, Morel est éclatant de virtuosité, d'humour et de détachement.

"Monsieur de Charlus face à l'insaisissable"
Morel et Charlus
Stéphane Bullion et Manuel Legris


Stéphane Bullion qui avait créé le rôle en 2007 hisse le personnage au plus haut niveau. Il est brillant sur tous les plans, technique (une petite batterie époustouflante) et dramatique, un jeu d’une finesse et d’une subtilité qui éclatent d’autant dans le tableau suivant où il parcoure avec sensualité le lupanar dans un peignoir rouge, les yeux brillants, fureteurs et amusés.
Dans ce tableau, Stéphane Bullion a le rayonnement adéquat pour définir le charisme de Morel (qui tombe à peu près tout le monde dans La Recherche) le violoniste apparaissant plutôt solaire avant de révéler dans la suite du ballet, une personnalité plus ambiguë. Il apparait alors comme un objet de désir qui prend plaisir simplement à la vie, regard joyeux avec les prostitués, et plutôt désolé pour Charlus qui est terriblement mal à l'aise de le voir s'amuser.


"Monsieur de Charlus vaincu par l'impossible"
Morel et un vieil homme
Stéphane Bullion et Francesco Vantaggio

L’érotisme de son corps fait ici écho au lustre de son âme, devant un Manuel Legris au comble du malheur, puisqu’il s’offre aux autres, à tous les autres, garçons ou filles. La composition des deux hommes est très réussie et Manuel Legris dépeint ce vieillard lubrique de très belle manière, ridicule d’amour dans leur première scène, pathétique de détresse dans la maison close où les prostitués se moquent de son idolâtrie pour Morel. Aurélien Houette et Simon Valastro qui interprètent aussi Charlus cette année, se débrouillent également de fort belle manière de ce personnage qui pourrait vite devenir scabreux, mais qui n'est finalement que tristesse. L'intensité que Simon Valastro donne à son Charlus est un peu déformée vers le comique lorsqu'il s'affronte à Audric Bezard en Morel, en raison de la différence de taille. Petit papillon reluquant l'impossible, il force l'admiration par un travail dramatique parfait. A l'inverse, Aurélien Houette est en face de Stéphane Bullion, un Charlus détruit par une impuissance d'autant plus marquante que sa carrure ne le désigne pas d'office perdant.

Morel et Charlus
Stéphane Bullion et Manuel Legris

C’est lors de la flagellation dans l’auberge que Charlus reprend un peu de sa superbe, le plaisir affleurant la souffrance, acceptant enfin ses envies… Cette scène est transcrite sous forme de mano a mano avec quatre beaux gosses un peu frustres dans une chorégraphie inventive et pleine de rebondissements. Aurélien Houette à la figure plus imposante donne alors au personnage un véritable ancrage dans le sado-masochisme car il n'est jamais victime de ses acolytes.

"Les enfers de Monsieur de Charlus"
Mathieu Botto, Aurélien Houette, Manuel Legris, Yvon Demol, Yong-Geol Kim

Avant de poursuivre les aventures de Morel, Roland Petit octroie une pause dans l’inconnu où quatre danseurs, trois garçons et une fille, parfois en couple, parfois ensemble se livrent aux joies de l’amour en contre-jour. La sinuosité des corps et des figures symbolise l’érotisme de la liberté de jouir, de "se rencontrer" sans a priori et sans contrainte.

"Rencontre fortuite dans l'inconnu"
Allister Madin, Peggy Dursort, Mickaël Lafon, Erwan Le Roux



"Ce garçon pouvait agir comme bon li semblait, il était libre. Mais s'il y a un côté où il n'aurait pas dû regarder, c'est le côté du neveu du baron. D'autant plus que le baron aimait son neveu comme son fils; il a cherché à désunir le ménage, c'est honteux. Et il a fallu qu'il y mette des ruses diaboliques, car personne n'était plus opposé à la nature de ces choses-là que le marquis de Saint-Loup"
(
Marcel Proust, Albertine disparue)

L’homme libre justement, Morel, s’attarde à séduire Saint-Loup, l’homme pur, neveu de Charlus qui tombe lui aussi sous son charme et avec qui il entretient une correspondance amoureuse qui révèle son secret. L’alchimie presque sexuelle qui existait entre Stéphane Bullion et Mathieu Ganio en 2007, est absente du couple que le premier fait avec Florian Magnenet, peut-être un peu juste dramatiquement pour le rôle.

"Morel et Saint-Loup ou le combat des anges"
Saint-Loup
Florian Magnenet

Il échoue à donner au personnage de Saint-Loup une contenance autre que de faire valoir de Morel, même après un solo (sur le mode de construction de l’autre pas de deux amoureux qui terminait le premier acte) où il pose un personnage en souffrance et victimaire. L’impalpabilité de son Saint-Loup en fait une proie totalement désarmée face à Stéphane Bullion, pourtant moins carré physiquement, qui dès son entrée en scène, regard de braise ou de cynisme, se montre invulnérable, dominateur conquérant rien que par la volonté.

Morel et Saint-Loup
Stéphane Bullion et Florian Magnenet

Ce déséquilibre entre les deux danseurs lève un peu l’ambigüité sur les rapports entre les deux hommes, Florian Magnenet apparaissant comme victime là où Mathieu Ganio était plutôt partagé et dévoré par l’envie et le désir.
C'est également le choix fait par Christophe Duquenne face au Morel peu enthousiasmant pourtant de Josua Hoffalt. Celui-ci n'est absolument pas mûr dramatiquement pour ce rôle et la position de Christophe Duquenne est difficilement compréhensible dans leurs rapports. Son Saint-Loup fait très intériorisé comme si les danseurs quelquefois ne dansaient pas ensemble, juste côté à côte...

Saint-Loup
Christophe Duquenne

En effet, si ce pas de deux entre Morel et Saint-Loup est en lui-même une vraie réussite, il peut aller très haut dans le lyrisme s'il y a alchimie entre les danseurs. En 2007, Hervé Moreau avait déjà un peu souffert de l'étrange domination scénique de Stéphane Bullion, très à son aise dramatiquement, alors que Mathieu Ganio avait réussi par la fragilité de son personnage à établir une véritable tension émotionnelle et érotique.

Saint-Loup et Morel
Hervé Moreau et Audric Bezard

Face à Audric Bezard, Hervé Moreau reprend une ascendance sur scène grâce à son magnétisme naturel. Son Morel cette année est plus serré dramatiquement, moins voluptueux, plus mâle. Comme Audric Bezard n'est pas particulièrement puissant malgré sa taille, cela donne un couple très équilibré qui fonctionne très bien, même s'il manque toujours une émotion.

Morel et Saint-Loup
Stéphane Bullion et Florian Magnenet

Même si les sommets de 2007 ne sont pas atteints cette année, cette chorégraphie est un pas de deux merveilleux, d’une sensibilité et d’une grâce exquises et le grandiloquent du final qui suit avec le "réveil" de Proust, est presque de trop…

Stéphanie Romberg, Stéphane Bullion, Hervé Moreau, Isabelle Ciaravola, Manuel Legris

mardi 19 mai 2009

Pleins Feux Proust ou les intermittences du coeur

Hervé Moreau et Isabelle Ciaravola

Isabelle Ciaravola et Hervé Moreau (remplaçant à la dernière minute Benjamin Pech) ont répété le "pas de deux de la Prisonnière" sous la houlette de Laurent Hilaire.
Les deux danseurs ont dansé séparément le rôle en 2007, elle avec Manuel Legris et lui avec Eleonora Abbagnato, il s'agissait donc de calage.

Hervé Moreau, Laurent Hilaire et Isabelle Ciaravola

Les Pleins feux avec Laurent Hilaire sont toujours passionnants car il aborde la répétition avec une fougue et un professionnalisme intense. Il ne fait pas de démonstration ou juste des commentaires pour meubler mais entre vraiment dans le coeur des rôles et des difficultés techniques pour les décortiquer et faire profiter les danseurs de ses conseils. Par ailleurs, avec un langage simple, il éclaire les spectateurs des problèmes qui se posent avec une évidence que l'oeil profane ne décèle pas.
Il fait constamment le pont entre la technique et la musicalité mais aussi la signification de la gestuelle dans le cours du ballet avec une possession du rôle qui va au-delà de la technique. Il est toujours très précis dans ses indications, très attentif à ses danseurs et son coup d'oeil incisif détecte tout de suite l'amélioration possible et la manière de la réaliser. Efficacité absolue.
Ambiance détendue -l'humour de Laurent Hilaire est constant- mais travailleuse, les danseurs écoutent beaucoup et regardent, car le maître de ballet montre aussi... La communication avec le public est totale... Une heure très -trop- vite passée...

Hervé Moreau et Isabelle Ciaravola

samedi 16 mai 2009

Les adieux de Manuel Legris 15 mai 2009

Manuel Legris, dernière étoile en activité nommée par Rudolf Noureev achève une ère en prenant sa retraite.
Nommé directeur artistique du ballet de l'opéra de Vienne à partir de 2010, il promet de revenir danser à Paris comme invité, notamment dans le Proust ou les intermittences du coeur de Roland Petit à la fin du mois de mai 2009.
Défilé du ballet en ouverture de la soirée et défilé des amis à la fin de la représentation d'Onéguine ont célébré le rite de passage.


Le défilé


Dernier défilé de Manuel Legris

Le décorum
Mélanie Hurel entre Emmanuel Thibault et Stéphane Bullion
Myriam Ould-Braham entre deux élèves de l'école de danse


Premier défilé d'étoile
Isabelle Ciaravola

Les adieux

La fête

vendredi 8 mai 2009

Onéguine

Bal du troisième acte

L'oeuvre de John Cranko entretient un rapport singulier avec celle de Pouchkine dont il réduit l'histoire à des relations de personnes, le poète russe insérant plutôt son travail dans une réflexion sur la société de l'époque à travers des personnages. Ce choix, qu'on peut comprendre car il compliqué d'un point de vue chorégraphique de rendre des considérations générales sur une époque (d'autant plus que celles de Pouchkine sont nourries progressivement par la narration) n'est pas entièrement satisfaisant en ce qu'il ne restitue que des rapports stéréotypés entre les héros.

Olga et Lenski, acte 1
Mathilde Froustey et Mathias Heymann

L'emprise de l'histoire dans une époque n'est pas abordée dans la construction narrative et l'ambiance est partiellement évoquée par des décors tristes et simples, des couleurs sombres et peu contrastées. Les costumes sont un peu caricaturaux, Onéguine en noir et Lenski en clair, les jeunes filles avec des robes insignifiantes, sauf la robe rouge de bal de Tatiana, les hommes souvent en marron et beige, les officiers dans des uniformes vert vase ou bleu terne. La musique, un patchwork d'oeuvres diverses de Tchaikovski est plus judicieusement choisie. Si elle n'a pas le lyrisme de l'Opéra éponyme créé par le compositeur, elle arrive à souligner des humeurs et des ambiances, ce qui n'est pas le cas de la chorégraphie.

Onéguine déchirant la lettre de Tatiana, acte 1
Isabelle Ciaravola et Hervé Moreau

D'un point de vue chorégraphique, il faut également rattacher le ballet à son époque de création, une élaboration du ballet néo-classique narratif. Il s'inscrit encore dans une recherche un peu mal aboutie, avec la répétition de certains pas et poses, emprunts au vocabulaire connu, qui deviennent rapidement des "tics" aux côtés de portés parfois ambitieux et peu esthétiques qui sont restitués avec plus ou moins de bonheur selon les danseurs. Il préfigure en ce sens un ballet comme la Dame aux Camélias de John Neumeier auquel on ne peut s'empêcher de penser, un ballet où l'intensité dramatique est bien mieux restituée, instaurant un lyrisme qui n'est abordé que dans le dernier pas de deux dans Onéguine.

Lenski entouré de Tatiana et Olga avant le duel, acte 2
Isabelle Ciaravola, Florian Magnenet, Muriel Zusperreguy

Le ballet est court et va donc chaque fois directement au plus significatif, un peu comme une BD, en juxtaposant des images parfois grossières, souvent simplistes. Il n'y a pas beaucoup de profondeur inscrite dans les caractères, simplement des pas qui s'alignent sans beaucoup signification dans la gestuelle, des danseurs qui n'ont rien à raconter qu'une histoire linéaire, banale (le quatuor amoureux) et pas du tout magnifiée par le portrait du héros et ses ambiguïtés. Le spectateur a du mal à s'insérer dans l'histoire et les caractères car les liaisons entre les tableaux sont mal réalisées voire bâclées comme le dernier acte où les danseurs apparaissent et disparaissent sans finesse et sans montée dramatique.

Onéguine dans son monde, acte 1
Nicolas Le Riche


Le caractère d'Onéguine qui fait la force du roman n'est en aucun cas restitué dans sa complexité, et selon l'interprétation des danseurs, peut rapidement tourner au contre-sens. Seul Hervé Moreau possède à la fois la prestance et la lassitude du dandy qui s'ennuie, une attitude à la fois spontanée et mûre qui évolue avec consistance et cohérence au cours des trois actes... Les autres ont du mal à rendre crédible la non-séduction de Tatiana, ou l'énervement dans la danse avec Olga, la douleur du meurtre de Lenski, le passage à l'homme mûr qui regrette, mais qui reste lui-même, sans outrance...

Onéguine, acte 1
Hervé Moreau

Si José Martinez montre la danse élégante qui permet à ses arabesques d'impressionner, il ne révèle rien du personnage à travers un jeu limité, tout comme Manuel Legris qui semble par ailleurs peiner dans les portés, notamment au premier acte. Dans le dernier acte, il est grimé en vieillard de manière assez malhabile (alors que Grémine apparaît flambloyant), ce qui force une dramatisation inutile, tout comme Nicolas Le Riche qui présente un homme différent. Celui-ci surjoue constamment, avec des attitudes trop exacerbées qui caricaturent l'histoire, son dédain pour la société campagnarde, sa (fausse) joie au cours du bal et son martyr à la fin n'expliquant en rien la complexité d'un personnage qu'il présente plutôt surfait. Hervé Moreau, en revanche, sans en faire trop, sait par l'intériorité de son jeu, donner un aperçu plutôt naturel d'un homme à la dérive.

Le Prince Grémine et Tatiana dansent sous l'oeil d'Onéguine, acte 3
Nicolas Paul, Isabelle Ciaravola et Hervé Moreau

Deux Tatiana se dégagent dans les interprétations. Isabelle Ciaravola est juste du début jusqu'à la fin, montrant une compréhension psychologique du personnage qu'elle arrive parfaitement à caractériser dans le jeu, et dans la danse. Sa Tatiana n'est jamais outrancière, elle aime ou souffre avec une évidence qui ne frôle jamais le théâtral ou le grotesque. Sa danse élégante lui permet d'établir des rapports stylisés sans caricature avec Onéguine mais aussi le Prince Grémine (Nicolas Paul). Le duo avec Hervé Moreau fonctionne parfaitement et les deux danseurs montrent une complicité et une interprétation de l'histoire en harmonie. D'un point de vue technique, ils ont la fluidité qui rend plus naturels les portés ou pas qui sont parfois décomposés par les autres couples.

Onéguine et Tatiana, acte 1
Hervé Moreau et Isabelle Ciaravola

Clairemarie Osta n'a pas la chance d'avoir un Onéguine qui a les talents d'acteur d'Hervé Moreau. Son interprétation raffinée est un peu diluée dans le monolithisme de Manuel Legris. Ses passages mimés et le rendu des sentiments sont très bien réfléchis et très cohérents jusqu'au dernier acte, où elle semble plus à l'aise avec le Prince Grémine, interprété il est vrai par l'excellent Christophe Duquenne, qu'avec Onéguine, ce qui transforme la fin de l'histoire, son rejet d'Onéguine ne s'expliquant presque plus que par son amour pour Grémine. A ce moment de l'histoire, Aurélie Dupont semble plus se venger d'Onéguine, que se sacrifier par devoir congugal, dressant finalement une Tatiana odieuse alors que Nicolas Le Riche dépeint un Onéguine dévasté.
Aurélie Dupont et Dorothée Gilbert sont plutôt décevantes, soit par faiblesse technique, soit par faiblesse interprétative. Dans les deux cas, rien ne passe avec leurs Onéguine, Nicolas Le Riche et José Martinez, à peine plus avec leurs Grémine, Karl Paquette et Vincent Cordier.

Olga et Lenski, acte 2
Mathilde Froustey et Mathias Heymann

Dans les rôles annexes, les danseurs alternent le pire et le meilleur, parfois dans les mêmes représentations.
Mathilde Froustey semble la plus à même de nourrir différentes humeurs chez Olga, son amour spontané pour Lenski (Mathias Heymann) mais aussi son intérêt insouciant pour Onéguine (Nicolas Le Riche), ses regrets et fait preuve d'une belle présence sur scène... Muriel Zusperreguy est plus nuancée mais semble surtout peu en harmonie avec Florian Magnenet. Elle dresse un portrait plus effacé d'Olga mais avec une certaine joliesse dans le premier acte qui nourrit bien l'histoire. Eve Grinsztajn et Myriam Ould-Braham sont un peu à côté du rôle, sans réelle composition dramatique.

Lenski
Audric Bezard

Le Lenski d'Audric Bezard est peut-être finalement le plus intéressant, malgré quelques maladresses au premier acte, quelques problèmes de partenariat avec Eve Grinztajn. Ses arabesques et attitudes, son solo dans le deuxième acte sont magnifiques, son jeu, plutôt modéré et bien senti. Dans l'ensemble, son Lenski est tout à fait romantique et le mime de la scène de jalousie parfait. Mathias Heymann est très inégal, notamment techniquement, ce qui est très surprenant de sa part. Sa maitrise du bas du corps exceptionnelle ne fait pas oublier une certaine statique dans le haut, notamment lorsqu'il danse avec Olga. Il est vrai qu'il faisait face à deux partenaires, et s'il semble plus à l'aise avec Mathilde Froustey en Olga, il est plus en phase avec l'Onéguine de Manuel Legris que celui de Nicolas Le Riche, qui dans le premier acte, est assez martial, c'est-à-dire dans des soirées différentes, ce qui laisse une impression générale mitigée. Florian Magnenet est un peu écrasé techniquement par le rôle, un peu pâle également dans le mime et la composition.

Le prince Grémine
Christophe Duquenne

Incontestablement, le Prince Grémine de Christophe Duquenne est le plus fluide et le plus juste du point de vue du jeu, la grande mesure du personnage est rendue avec majesté. Le rôle est très ingrat puisqu'il consiste principalement en une danse au bal du deuxième acte et un pas de deux avec Tatiana au troisième où aucune prouesse autre que celle du partenariat n'est requise du danseur.

Christophe Duquenne

Il est donc priordial que l'adéquation avec le personnage soit totale et la maîtrise de la technique des portés est donc complètement nécessaire et avec Karl Paquette, il se démarque de Vincent Cordier et Nicolas Paul, plus hésitants ou contractés, ce qui est tout à fait compréhensible d'ailleurs, compte tenu de leur expérience des premiers rôles.

Bal du troisième acte
Sofia Parcen et Fabien Révillion, Miho Fuji et Sébastien Bertaud

Le corps de ballet apparait dans les scènes de danses de caractère dans le premier acte et de bal, dans le deuxième et troisième acte, les jeunes femmes dans une scène de rêve d'Onéguine au dernier acte. Il contribue ainsi à donner une certaine chaleur et un peu de liant à l'ensemble de la chorégraphie plutôt austère, mais son faible nombre (moins d'une vingtaine de danseurs) étrique un peu les scènes de bal.

vendredi 1 mai 2009

Hark! - White Darkness- Mc14/22

Hark!


Hark!
Amélie Lamoureux et Stéphanie Romberg


Le ballet d'Emanuel Gat dépeint en 25 minutes, un univers uniquement féminin vêtu de noir, un corps de ballet sur pointe qui entoure deux solistes pieds et jambes nus, des vagues, des mouvements envoûtants mais souvent redondants et peu marquants. Les solistes se démarquent par une gestuelle différente, plus syncopée, rompant avec la sérénité de la musique de John Dowland.

Stéphanie Romberg

La faiblesse de cette chorégraphie réside un peu dans cette primauté de l'esthétique sur l'action et la cohérence dans l'enchaînement des mouvements. On ne cherche pas un propos dans un ballet non narratif mais un minimum de construction est nécessaire pour dresser un fil directeur et la chorégraphie n'a pas assez de force pour juste flirter sur une ambiance...

White Darkness

Stéphane Bullion et Marie-Agnès Gillot

L'ambiance forte et compacte est présente avec le ballet suivant. Dans White Darkness, Nacho Duato évoque la drogue que les danseurs manipulent tout au long du ballet, qui tombe du ciel, résiste sous leurs pieds, part intégrante de la représentation. Ici, le propos se déplace donc d'une histoire à un sujet, plutôt que de rapport entre les danseurs, les liens s'établissant entre la poudre et les acteurs.

Stéphane Bullion et Marie Agnès Gillot

Joie, excitation, dépendance, différents stades, différents mouvements se déploient dans un ensemble dense, poli et esthétiquement très recherché.
Le corps de ballet -en fait quatre couples- est particulièrement dynamique, les danseurs rivalisent de prouesses techniques et esthétiques à un rythme qui ne faiblit jamais, même dans les passages lents qui sont dotés d'une gestuelle intense et dramatique.

Stéphane Bullion, un peu maléfique....

Lors de la première, les danseurs sont époustouflants. La deuxième distribution est un peu moins démonstrative car moins en phase avec le rythme infernal de la chorégraphie, certains danseurs plus en difficulté avec les mouvements.
Stéphane Phavorin dont c'était le retour sur scène après une longue absence et malheureusement pour une unique prestation, est absolument merveilleux, notamment dans un solo à couper le souffle que ses successeurs ont eu du mal à égaler. Christophe Duquenne parfait de précision et d'imposition dans un exercice de fluidité dont il est passé maître forme avec Aurelia Bellet un duo tonique et incisif. Alice Renavand et Muriel Zusperreguy s'insèrent avec acidité dans le quatuor masculin.

Marie-Agnès Gillot et Stéphane Bullion

Les deux solistes, Stéphane Bullion et Marie-Agnès Gillot, sont à la hauteur du défit posé par ce sujet qui pourrait vite tourner à la patronisation. Très en phase avec musique et propos chorégraphique, ils imposent leur maîtrise technique et dramatique avec autorité, des moments d'intensité sublimés par une danse précise et puissante.


Marie-Agnès Gillot et Stéphane Bullion

Marie-Agnès Gillot, victime inconsciente voire insouciante, déploie avec contraste sa silhouette impressionante dans ce combat. Stéphane Bullion, plus subtile, noirceur retrouvée, excelle encore une fois à provoquer des frissons de son allure parfois menaçante, parfois par sa puissance brutale. C'est la force d'un personnage mais aussi d'un corps qui commence à établir un style. Le dialogue avec Marie-Agnès Gillot est musclé et l'effet dans l'ambiance assuré... Un grand moment.


Marie-Agnès Gillot et Stéphane Bullion

MC14/22, Ceci est mon corps

MC14/22, ceci est mon corps
Yong-Geol Kim, Pascal Aubin et Simon Valastro

Dans MC14/22, ceci est mon corps, Angelin Preljocaj travaille sur le corps et les rapports entre hommes dans le contexte du sacré mais aussi tout simplement de la vie et de la société. Ici, l'évangile selon Saint-Marc sert de point de départ à la multiplication des corps de christs en représentation et aussi en action.
La Cène ponctue le coeur de l'oeuvre avec des instants figés autour desquels prennent place des attitudes et des poses qui rappellent le travail des peintres au cours des siècles. Des attitudes modernisées empruntes des thèmes qui ponctuent la vie, la maîtrise du corps à travers des pulsions propres à l'individu, un constant renouvellement de l'activité.

Matthieu Botto et Alexis Renaud

Le ballet d'Angelin Preljocaj est très bien construit sans aucun temps mort, une série de tableaux qui abordent avec le même dynamisme des thèmes faisant des allers et retours entre la religion, l'imposition dogmatique d'une idée figée de la normalité en question, l'interprétation des corps qui se déchaînent dans une puissance contrôlée, une sexualité qui d'évidence ne cherche pas les sentiers battus, des évocations qui contrecarrent les idées reçues... Une oeuvre forte.