dimanche 25 avril 2010

Rencontre La Bayadère



Rencontre La Bayadère, amphithéâtre Bastille, 24 avril 2010

Solor : Stéphane Bullion
Nikya : Delphine Moussin
Maître de Ballet : Clotilde Vayer
Chef de chant : Michel Dietlin

Rencontre dynamique menée au pas de charge par Clotilde Vayer qui avait comme but de résumer la relation de Nikya et Solor en une heure. Ambiance de travail sérieuse mais détendue, sourires, joie de danser et de communiquer, temps morts réclamés lorsque perdue dans la passion, Clotilde Vayer sollicite beaucoup Delphine Moussin, commentaires nourris sur la chorégraphie. Une petite heure plutôt riche.



Plus qu’une répétition, cette après-midi se voulait une démonstration pédagogique avec des petits extraits soigneusement choisis pour bien restituer l’histoire à travers une illustration en danse. Solor et le fakir avec la rescousse  de Lionel Delanoë, impromptu ( ?) de choix !, la variation de Nikya autour du feu sacré (en l’occurrence un joli tutu noir avec des petites ciselures dorées), le pas de deux du premier acte avec des danseurs déjà très impliqués dans le jeu. Clotilde Vayer en profite pour spécifier la nature de ce pas de deux attribué totalement à Rudolf Noureev et souligne le rapport avec Raymonda avec la complicité des danseurs. On passe ensuite à la variation du serpent de l’acte deux, l’adage de l’acte 3, quelques doubles assemblés arrachés à Stéphane Bullion, puis la variation du voile pour terminer.
Souvent, la petite scène de l’amphithéâtre Bastille où prend également place le piano de Michel Dietlin semble vraiment trop étroite pour les envolées des pas de deux, mais aussi pour la démonstration un peu inutile et dangereuse des doubles assemblés de Solor.




Stéphane Bullion et Delphine Moussin ont déjà dansé les rôles mais jamais ensemble et les répétitions n’ayant commencé que très récemment, on perçoit les deux aspects des choses. D’un côté une fermeté dans les pas et dans les attitudes, le canevas est connu et intégré et il n’y a pas d’hésitation, aucune explication à recevoir, d’un autre un rapport entre les deux danseurs qui se cherchent encore bien que déjà complices. Jusqu’à cette Bayadère, Stéphane Bullion et Delphine Moussin ont  peu dansé ensemble (Troisième Symphonie de Gustav Mahler et 3e pas de deux de In The Night qu’ils reprennent cette année) mais après Isabelle Ciaravola, avec qui il devait danser mais qui est blessée, Delphine Moussin est sans doute la ballerine de l’opéra qui est le plus proche de la sensibilité artistique du danseur, le couple devrait donc offrir une distribution toute en subtilité.

jeudi 22 avril 2010

Hommage à Jerome Robbins 21 avril-8 mai 2010


En Sol
Musique - Maurice Ravel Concerto pour piano et orchestre en sol majeur
Chorégraphie - Jerome Robbins (1975)
Décor et costumes - Erté
Lumières - Jennifer Tipton
Piano - Elena Bonnay
Ballet entré au répertoire de l'Opéra de Paris le 12 décembre 1975

En Sol
Christelle Granier, Laure Muret, Amandine Albisson, Nicolas Le Riche, Aurelia Bellet, Alice Renavand, Séverine Westermann

Triade
Musique originale - Nico Muhly
Chorégraphie et costumes - Benjamin Millepied
Lumières - Patrice Besombes
Piano - Frédéric Lagnau et Michel Dietlin
Trombones - Bruno Flahou, Jean Raffard
Ballet créé à l'Opéra de Paris le 20 septembre 2008


Triade
Nicolas Paul - Marie-Agnès Gillot - Vincent Chaillet- Dorothée Gilbert

In The Night
Musique - Frédéric Chopin Quatre Nocturnes pour piano op. 27 n° 1, op. 55 n° 1 et 2, op. 9 n°2
Chorégraphie - Jerome Robbins (1970)
Costumes - Antony Dowell
Lumières - Jennifer Tipton remontées par Les Dickert
Piano - Ryoko Hisayama
Ballet entré au répertoire de l'Opéra de Paris le 26 novembre 1989


In The Night, 2ème pas de deux
Stéphane Bullion - Agnès Letestu


The Concert ou les malheurs de chacun
Musique - Frédéric Chopin pièces pour piano
Chorégraphie - Jerome Robbins (1956)
Rideau de Scène d'après Saul Steinberg
Costumes - Irène Sharaff
Lumières - Jennifer Tipton
Piano - Vessela Pelovska
Ballet entré au répertoire de l'Opéra de Paris le 11 décembre 1992

The Concert

mardi 20 avril 2010

L'éveil de Siddharta

 
Stéphane Bullion - Alice Renavand

dimanche 4 avril 2010

Siddharta

L'Eveil et Siddharta
Alice Renavand - Stéphane Bullion

Investir l’Opéra Bastille avec un ballet est le challenge en cours pour quelques chorégraphes renommés, d’abord Angelin Preljocaj avec Siddharta avant Jiří Kylián et sa nouvelle version de Kaguyahime. Wayne McGregor a encore une année pour y réfléchir avant de présenter l’Anatomie de la sensation la saison prochaine.

 Nicolas Le Riche - Stéphane Bullion
Christelle Granier - Séverine Westermann

Angelin Preljocaj a parié sur un effet conjugué du monumentalisme, dans la musique, dans les décors et en quelque sorte dans les effets de lumières, notamment sur ce sol  brillant qui reflète et diffuse les mouvements, et de serrer en revanche sa chorégraphie pour mieux la faire ressortir, tout en employant un vaste corps de ballet. Il s’est associé des créateurs talentueux, Bruno Mantovani, Claude Lévêque ou Dominique Bruguière, ainsi que l’écrivain Eric Reinhardt pour servir une narration fleuve dans l’événementiel mais minimaliste dans l’expression qu’il utilise. Il procède ainsi de la littérature source du propos comme un écrin dans lequel le parcours de Siddharta s’inscrit, comme une évocation visuelle, plus que de l’exploitation littérale servant de livret à la chorégraphie du héro. Il en résulte un ballet  presque abstrait dont chaque élément tient le propos narratif par touches qui liées les unes aux autres mènent Siddharta au bout de sa quête.

Chez les ermites
Nicolas Le Riche - Stéphane Bullion

De la terre noire qui exhale les forces du mal, au châssis gigantesque d’un camion qui surgit au milieu d’une forêt de tuyaux géants, l’accomplissement de Bouddha se termine sur une scène nue au milieu des hommes, véritables porteurs du message électif. Comme il ouvre presque le ballet alors que Siddharta constate l’impuissance de son règne, le roi son père se soumet à la voie de la révélation dans la scène finale au royaume de la sérénité.

 L'épidémie

Entre temps, se succèdent seize tableaux dans ces décors ascétiques mais imposants, un corps de ballet las comme les habitants souffrant du monde, les pantins excités de la cour qui se vautrent sur des lingots d’or, les motards improbables et indiscernables, les cadavres victimes et source de la révolte, les ermites aux solutions insatisfaisantes. L’idée d’imposer la souffrance, les disfonctionnements ne se fait pas à grands coups de gestuelle démonstrative mais par un corps de ballet souvent en nombre réduisant ses mouvements pour montrer cette impossibilité à se réaliser que Siddharta seul va pouvoir trouver au prix d’un long cheminement.

Stéphane Bullion et les messagères

Tout est noir ou sombre et de ce marasme contraste la révolte de Siddharta qui se dore au son d’un riff hendryxien et la voie qui le mène sur l’accomplissement, les très pinkfloydiennes messagères et leur emblématique Eveil qui se manifestent parfois aux accents de Sylphide et aux alignements de cygnes. Elles exhalent des teintes chaleureuses si ce n’est joyeuses avec leurs robes de tulle dans les lumières dorées se reflétant sur le sol, luisant ,une sorte de paix que soutient une musique plus aérée face à aux oppressantes sonorités qui répliquent  les affres de Siddharta et son compagnon Ananda. Le monde, terriblement matériel s’affronte à l’esprit, souvent léger et impalpable pour conduire et rythmer la narration. La musique de Bruno Mantovani soutient et illustre brillamment ces ambiances restituées par l’orchestre de l’opéra de Paris, galvanisé par la remarquable Susanna Mälkki.

Siddharta et Ananda
Nicolas Le Riche - Stéphane Bullion


Angelin Preljocaj a choisi trois puissants félins pour incarner Siddharta, et si l’on retrouve dans l’énergie et dans la tension corporelle, une même énergie chez ces trois danseurs, les qualités intrinsèques de chacun dictent une ligne directrice dans la perception du personnage. La ferveur cristalline de Stéphane Bullion renforce une narration qu’il brode et enrichit aux contacts de son univers alors que la linéarité de Jérémie Bélingard et Nicolas Le Riche écrase un peu la richesse du personnage au profit d’une conception esthétique et imposante de Siddharta, un crescendo chez Nicolas Le Riche dans la tension, une vitesse ravageuse chez Jérémie Bélingard qui plante son héro dès son entrée en scène.

Nicolas Le Riche - Wilfried Romoli - Alice Renavand

Nicolas Le Riche traverse l’histoire avec l’assurance d’une technique sans faille et assoit son personnage sur une forte détermination. Fils de roi un peu blasé, il dresse presque déjà le Bouddha qu’il va devenir dès le début du ballet avec une aura majestueuse. Dans la distribution qu’il conduit,  le summum est sans conteste la rencontre avec l’Ananda de Stéphane Bullion qui, en elle-même, est l’essence de la puissance et de la virtuosité, mais qui aussi déclenche la révélation de Siddharta qui jusqu’à ce moment semble un peu en retrait dans l’expressivité corporelle. Une fois épuré et littéralement vidé de son énergie, il semble renaître, s’être départi de ses attitudes nonchalantes esthétisantes qui sont encore présentes dans la première partie de l’œuvre. Sa danse est jusqu’alors léchée mais peu impressionnante. De ce pas de deux de la mortification, où poussé à bout dans sa puissance par Stéphane Bullion, il déploie son énergie bien connue, il ressort un autre homme qui danse différemment, qui irradie de charisme. Il est près à recevoir l’Eveil avec un potentiel illimité de répondant. Nicolas Le Riche prend alors la scène comme le gigantesque terrain de sa suprématie.

Jérémie Bélingard - Clairemarie Osta

Ce terrain, Jérémie Bélingard l’occupe dès la première minute. Il est un Siddharta flashy, peut-être la tornade rock’n’roll qu’Angelin Preljocaj avait mentionné à Bruno Mantovani pour créer la musique, et l’aspect méditatif et utilisation de la force intérieure sont absents de son personnage. Il joue plus de la vitesse, des pirouettes vertigineuses, de la souplesse de son buste dans les rotations. Comme il n’a pas non plus de déclic externe de la part de ses partenaires, il mène son chemin tout seul et d’ailleurs il le fait très bien. En ce sens, c’est peut-être l’interprétation qui correspond le mieux si on s’attendait à voir un one-man show, mais au milieu de cette foule de démonstrations scéniques, l’aura de Siddharta disparaît un peu et perd de son sens, sans réelles nuances  dans les épreuves qu'il traverse. iI peine à faire ressortir une magnificence sereine à la fin, tous ses artifices épuisés dans le cours du ballet. Les mouvements n'ont pas le poid et la signification de ceux de Stéphane Bullion et Nicolas Le Riche. Alors qu'il doit apparaître suprême, il ne domine plus la scène, luttant toujours avec la musique avant l'illumination.  Le Siddharta de Jérémie Bélingard apparaît d’ailleurs plus humble que les autres dans la scène finale où Nicolas Le Riche est d’une sérénité souveraine et Stéphane Bullion d’une essence immatérielle.

Stéphane Bullion

Le Siddharta de Stéphane Bullion n’est pas un homme qui traverse le ballet comme une  flamme brûlante,  mais un être ambigu qui cherche, qui doute, qui ne comprend pas tout mais qui se développe et s’émerveille sur la voie de la découverte d’une solution à sa quête personnelle. C’est le Siddharta le plus ouvert et le plus imprévu. Sa traversée du samsara est clairement mise en relief dans ses attitudes et dans sa danse. L’aspect intérieur de sa quête est très bien restitué sur scène par le danseur et se réalise par l’accomplissement du corps d’abord, parce qu’on est au ballet, mais aussi de l’esprit. Son Siddharta s’éclaire avec la dématérialisation de son corps lors des rencontres avec l’Eveil alors qu’il est brutalement terrestre et incroyablement puissant avec Ananda. Il  est habité et inspiré. Il donne à Siddharta un relief qui s’exhale intérieurement au début et transparaît à la fin vers une épuration, non seulement dans les gestes mais dans le visage qui atteint la sérénité. On comprend mieux le cheminement et on en guette les évolutions.

Stéphane Bullion - Alice Renavand

Stéphane Bullion paraît plus profiter de sa rencontre avec l’Eveil pour transformer son personnage mais sa progression vers la mutation est avant tout une évolution d’acteur. Comme Jérémie Bélingard, il est dès le départ, maître du langage contemporain  d’Angelin Preljocaj, avec  une envergure et l’utilisation de sa  puissance physique dans les variations du début comme un démultiplicateur de l’effet produit. Ses mouvements sont une merveille d’expression par le corps d’une figure qui domine. Elle nourrit la raison et les moyens de sa quête. Il laisse percevoir la force motrice du personnage qui s’extirpe d’un milieu vain qui ne l’ennuie pas comme Nicolas Le Riche mais qui lui déplaît, pour cheminer avec une avidité de la découverte, ses yeux innocents puis presque prédateur sur l’Eveil intouchable, son regard perdu dans la forêt, sa folie dans les mortifications, la subjugation de Sujata et la fusion avec l’Eveil.  Sa rencontre avec  l’Eveil d’Alice Renavand le rend définitivement  magnétique et irradiant sur scène.


Stéphane Bullion

Stéphane Bullion qui a le vent en poupe cette année, trouve dans la chorégraphie d’Angelin Preljocaj un art qui  lui permet à la fois d’exploiter sa puissance mais aussi de transmettre la narration par le contrôle de son corps. Comme on a pu le voir dans Répliques de Nicolas Paul en novembre 2009, la puissance du danseur s’accomplit dans la violence comme dans la froideur par une présence très forte sur scène. Ce rayonnement est perceptible dans son Ananda et se réalise pleinement dans son Siddharta.

  Stéphane Bullion - Aurélien Houette

Angelin Preljocaj a construit son ballet autour de quelques figures principales de la vie de Siddharta, employant un nombre restreint de danseurs pour interpréter ces rôles qu’ils s’interchangent selon les différentes distributions. Ainsi, comme si la compréhension du langage d’Angelin Preljocaj circulait dans un cercle fermé, Alice Renavand participe à toutes les représentations en Eveil, Yasodhara ou Sujata, Stéphane Bullion passe de Siddharta à l’Ananda de Nicolas Le Riche, Muriel Zusperreguy est Sujata ou Yasodhara, Christelle Granier tentatrice ou Yasodhara.

Siddharta et Yasodhara
Jérémie Bélingard - Muriel Zusperreguy

Ananda, cousin et compagnon de Siddharta dans sa quête est une des figures centrales du ballet qui se révèle dans une série de quatre pas de deux, mystérieux dans la forêt où les deux hommes se dépouillent de leurs vêtement pour couper tout lien avec le monde, exotique chez les ermites où la force et la puissance commencent à poindre, sensuel sur le châssis du camion lorsqu’ils se laissent de concert et en synchronie, aller à la tentation des sens et enfin brutal et explosif dans les mortifications qui suivent, un duo à couper le souffle, sans doute le moment le plus prenant du ballet où cette chorégraphie de l’extrême est soutenue par le rythme obsessionnel des percussions sourdes de Bruno Mantovani.

 Siddharta et Ananda
Nicolas Le Riche - Stéphane Bullion 

Les paires ici sont aussi savamment constituées puisque le compagnon de Siddharta doit emblématiser la même force. Stéphane Bullion dédouble alors Nicolas Le Riche, alors que c’est Aurélien Houette qui s’attache à Stéphane Bullion dont il arrive à atteindre la puissance, si ce n’est la précision. Marc Moreau semble plus accessoire dans le dessin du Siddharta de Jérémie Bélingard, et malgré un axe sur la vitesse, le duo a du mal, notamment pas un manque de synchronisation perpétuel, à produire cet effet écrasant que la puissance des autres impose.

Siddharta et Yasodhara
Nicolas Le Riche - Alice Renavand

Angelin Preljocaj est plus mesuré avec les danseuses même si Sujata qui se laisse entraîner pas Siddharta dans le XVe tableau, est dotée dans le Xe d’une magnifique variation "à la flûte" avec les deux tentatrices.

Ananda et Sujata
Stéphane Bullion - Muriel Zusperreguy

La chorégraphie de ces rôles tourne beaucoup autour de portés compliqués pas toujours très magnifiants pour la danseuse, parfois à comprendre comme une épreuve pour Siddharta, notamment avec Yasodhara, l’épouse triste et délaissée qui se laisse manipuler dans la langueur de son incompréhension. Mais il en est de même parfois également pour l’Eveil, le rôle féminin emblématique du ballet qui dès qu’elle gagne Siddharta perd son indépendance.

Jérémie Bélingard - Clairemarie Osta

Angelin Preljocaj attribue à l’Eveil une immatérialité impossible que seule Alice Renavand arrive à approcher totalement dans la réalisation d’un concept qu’elle habite avec un rayonnement étrange et mystérieux. Aurélie Dupont et Clairemarie Osta semblent plus se replier sur elles-mêmes. Elles imposent un Eveil martial, intouchable mais qui les bride alors qu’Alice Renavand rayonne de plénitude et de mystère.


Aurélie Dupont - Nicolas Le Riche

De sa première apparition vaporeuse au milieu des messagères au titillement de Siddharta dans la forêt, où dans des envols majestueux elle se laisse approcher mais pas capturer, elle se réalise dans le fusion avec Stéphane Bullion au terme d’un magnifique pas de deux où l’alchimie entre les deux est totale et lui communique son irréel exotisme.

 Stéphane Bullion - Alice Renavand