vendredi 13 février 2009

Triple affiche à l'Opéra Garnier

Nicolas Le Riche - Le Boléro

La triple affiche présentée début février à Garnier a été testée "hors les murs" l'année dernière. On peut trouver un rapprochement entre les chorégraphes qui ont tous un langage propre et une singularité reconnue.
Serge Lifar est un peu oublié. Sa Suite en Blanc est un essai d'académisme qui se veut enrobé dans un ballet unique, quarante minutes de danse polie qui ne souffre pas l'imperfection. Les danseurs sont des beautés glacées qui évoluent au millimètre... Cette soirée, presque de gala, présente le gratin de la troupe, la plupart des Etoiles et des Premiers danseurs... Chacun prend tour à tour la piste et présente son imposé, un peu un check up, juste histoire de voir si ils en sont capable... La réponse est majoritairement oui...

Avec l'Arlésienne, on s'aventure dans le ballet narratif, court mais racontant une histoire, peut-être justement un peu mal ficelée en raison du manque de temps. Roland Petit a quelques tics de chorégraphes qui sont parfois difficiles à mettre en rapport avec la Suite en Blanc que l'on vient de voir. On pourrait y voir un ballet populaire, qui parle d'ailleurs d'une histoire du peuple, alors que Suite en Blanc est une histoire de bourgeois. Les costumes sont austères et les pas rugueux, exceptés ceux de Vivette, frôlant parfois la caricature de la fille simple... La chorégraphie du héros est plus valorisante, simple mais spectaculaire, elle s'incarne dans le corps du danseur, une progression vers la folie qui passe par de l'errance, du désarroi et de la violence.

Le Boléro est plus simple encore, un danseur et ses disciples haranguent les foules, les uns sexuels, les autres méthodiques, parfois tueurs...

Stéphane Bullion -Thème varié - Suite en Blanc


Certains danseurs sont impressionnants, en premier lieu Stéphane Bullion (il danse dans les trois affiches) qui semble glaner le résultat des (gentilles) mises à l'épreuve récentes et apparaît pour le coup très aérien et précis dans Suite En Blanc, et même souriant. Après un décembre de stackhanoviste consacré à Raymonda, Lifar semble être un jeu d'enfant... Sa plastique fait le reste... Dans l'Arlésienne, véritable diamant brut, il retrouve un rôle qui fond dans son tempérament et peut montrer une facette de la danse qui pense, une de ces compositions qui se nourrit de réflexion et de subtilité. Pour le Bolero, le physique joue aussi, il suffit de laisser parler le rythme et son corps, il est l'âme damnée du gourou, objet sexuel dominateur et dévorant, adorateur fidèle, puissant et terrifiant...
Nicolas Le Riche est le génie du Boléro. Aucun mot ne peut décrire cet objet non identifié qui se transforme au fil de la musique en quelquechose d'irrésistible, dont on palpe le pouvoir sur ses troupes avec d'autant plus de bonheur que le corps de ballet est excellent. En quinze minutes, il transforme les masses, sur scène et dans la salle, cela peut mettre très mal à l'aise quand on y réfléchit, mais puisque ce n'est que de la danse, alors il faut saluer ce danseur au charisme exceptionnel et sourire au délire qu'il provoque dans la salle. Il n'y a sans doute, de par le monde, que Nikolai Tsiskaridze pour produire ce type de réaction. Dans la Mazurka de Suite en Blanc, il est sobre et précis, onctueux dans les sauts et précis dans les équilibres. Charisme, c'est certain, mais le reste est présent également.

Nicolas Le Riche - Le Boléro

Retour sur scène timide d'Hervé Moreau au début mais qui semble s'être senti plus à l'aise vers la fin de la série, parfait de moelleux et d'ampleur dans l'adage et le manège final sur la dernière représentation... C'est un danseur d'une rare élégance dont la longue absence a fait cruellement défaut à la troupe, on ne voit guère que Christophe Duquenne (et peut-être Mathieu Ganio quand il aura atteint une maturité artistique...) à ce niveau de fluidité dans les mouvements... Il aurait pu avoir une Mazurka (Christophe Duquenne également)...

La grande dame de cette affiche est Agnès Letestu, car si elle n'a dansé que la Cigarette, elle a laissé tout le monde sur place à chaque fois. Il ne fait pas bon la côtoyer si on a un ego très fort... Bien sûr, les fouettés du final aident beaucoup à asseoir cette assurance et cette rare précision dans l'esprit des foules, mais celle qui fait oublier la technique, a montré une musicalité extrême dans cette pièce difficile que l'on n'a pas vu chez les autres... La beauté de son ralenti au milieu des fouettés pour coller à la musique laisse muet...

Agnès Letestu - La Cigarette - Suite en Blanc

Aurélie Dupont est également de retour dans toute sa splendeur après un Raymonda décevant, cependant, un peu comme Dorothée Gilbert, qui n'a pas été très à l'aise dans cette affiche, elle manque un peu d'humanité dans son enrobage technique. Cela se voit parfaitement dans le Manège que Clairemarie Osta arrive à sublimer grâce à une générosité  un peu absente chez sa collègue...
Enfin Isabelle Ciaravola a réussi à sortir Vivette de l'Arlésienne de l'impasse chorégraphique dans laquelle Roland Petit l'a mise... Si on prend en compte le fait qu'elle a dansé tous les autres soirs dans Suite en Blanc, dans la Sieste ou la Flûte, on se dit que c'est une personne rare, une danse d'une clarté et d'une légèreté, des jambes de rêve, une justesse dans son jeu...