samedi 30 avril 2011

La Maison de Bernarda - Une sorte de...


Le contraste entre les deux ballets choisis pour cette affiche est un écho démultiplié des nuances subtiles que Mats Ek introduit dans son art. Ainsi, à la peinture narrative d’un monde social sous l’emprise des traditions et de la domination dans un climat rigoureux et pesant de la Maison de Bernarda, s’oppose Une Sorte de…, délire onirique de la dérision et de la frénésie.

Mats Ek est un chorégraphe hyper talentueux, il a le génie de la symbiose musique/mouvement, mais il faut le reconnaître, les deux pas de deux lents de Une sorte de… sont chiants et tout le charisme de Nicolas Le Riche n’y peut rien, inutile de mentionner les autres... 
En revanche, lorsque les corps des groupes s’animent et se décomposent en syncopes, c’est autre chose, on entre dans une autre dimension ! L’étincelle jaillit, les entrailles grondent, la chorégraphie engloutie l’esprit et tire allégrement vers la libération des sens. C’est alors du grand art qui rivalise d’ingéniosité avec l’incongruité musicale d'Henryk Gorecki choisie comme bande son par Mats Ek. 
A la surprise de la musique répond l'originalité des pas, des appariements et des mouvements, des situations les plus inattendues. Pas de fil directeur si ce n'est l'énergie des rencontres avec les individus, décors ou accessoires. L'utilisation des costumes, du son des chaussures, font de cette oeuvre, une gigantesque explosion d'énergie dans toutes les directions, à tous les niveaux, l'esprit vagabonde ou reste en rade, mais le spectateur est happé par les sens.


José Martinez

La lenteur, le geste qui se décompose à l’infini dans du signifiant, la construction narrative à travers le mouvement, c’est pour La Maison de Bernarda. Les pliés, les appuis sur le sol, lourds et pesants des femmes condamnées au deuil, à la négation des sentiments et de la sensualité,  le noir contraignant et la rouge frivole, les rejets brusques de la lenteur pour simuler la révolte, intériorisée ou non, la légèreté des envols de la servante,  
Le catalyseur du drame est l’Homme. L’homme est omniprésent dans la pièce de théâtre sous forme d’évocation mais Mats Ek en a finement fait un personnage qui relance la vie quotidienne de la maison endeuillée en apparaissant trois fois, pour les fiançailles, pour la trahison –une scène d’amour avec la sœur de la fiancée- et pour le mariage, interrompu par le suicide de la jeune fille qui avait rêvé qu’il abandonnerait l’argent au profit de l’amour.

Stéphane Bullion - Charlotte Ranson

Ainsi, Mats Ek souligne constamment la cruauté de cette société à travers le portrait des danseurs. En premier lieu, celle de la mère dominée par la tradition mais qui, une fois instaurée comme dominante par la mort de son époux, en perpétue le mécanisme de domination au point qu’elle ne souffre même pas que sa fille en meurt. Il dénonce à l’occasion le poids de la religion à travers le dîner et la scène d’amour christique, dévotion absolue de Bernarda. Mais cette empreinte sociale atteint aussi ses filles qui, si elles apparaissent comme victime, n’en sont pas plus sympathiques. C'est un portrait hautement contextualisé et la stylisation ne fait qu'appuyer la caractérisation des personnages, elle n'en est pas moins empreinte de réalisme.

Stéphane Bullion - Clairemarie Osta - Ludmila Pagliero
Les personnages sont cadrés et incarnent des fonctions qui visent à la vision globale que la pièce dépeint de la torture sociale. Si il y a de la vie chez les sœurs, elle est bridée et peu de moments, comme ceux avec la "perverse" servante, laissent place à la révélation des aspirations.
Les jumelles, unies et effacées, la bossue, en perpétuelle vengeance de son stigmate mais qui porte elle aussi les aspirations à l'amour, la sœur aînée, à la fois victime et coincée mais avec des moments de fierté qu’instaure son rang d’héritière et la jeune sœur, pas plus admirable que les autres même si elle incarne la révolte, elle est tout aussi peste avec ses soeurs.
L’homme prend sa part d’incarnation de cette critique de la société. Dépassionné. également, factuel. Dualité de la fonction avec le sexe du dominant mais dominé par la situation d’aspirant à la dot. Ambiguïté du désir de l’argent et des sens, contradictoire dans la famille. Il peut avoir les deux, c’est un pari, mais il est raté.
Dans la transposition de Mats Ek, cet Homme, certes "victime" dans la pièce de Federico Garcia Lorca, semble être le seul à réagir violemment à la mort de la jeune soeur, et par opposition, Bernarda ne paraît pas aussi certaine de ses actes. Le ballet, plus que la pièce alors, avec son vocabulaire allusif, ouvre vers une réflexion encore plus profonde.

José Martinez