Sept mètres et demi au-dessus des montatnes |
De
l'Académie chorégraphique de l’ère Millepied, il faut retenir l'idée
intéressante de faire passer de la scène de l’amphithéâtre Bastille à
celle du Palais Garnier, les soirées Danseurs-chorégraphes connues sous
la direction de Brigitte Lefèvre. Elle s'accompagne de modifications
diverses, forcément une réduction d’effectif chez les chorégraphes mais à
l’inverse un accroissement de moyens, du temps libéré pour les
chorégraphes et un budget conséquent en moyens et en main d'œuvre pour
scénographie, décors et costumes. Nicolas Paul excepté, les élus de
cette unique mouture de l’Académie était à cette échelle de conception,
des débutants.
Renaissance
de Sébastien Bertaud, rend hommage à Benjamin Millepied dans le style
mais laisse précisément, sceptique, par cette focalisation sur la forme,
sur le futur de telles pièces. L’œuvre semble trop pensée sur le papier
à en devenir presque un objet en lui-même. Musique célèbre de
Mendelssohn, casting de solistes à la mode, costumes haute couture
sponsorisés, tout cela reste un peu trop impersonnel. Au finish, si
l’œuvre livre de la belle danse, elle est désincarnée.
Aurélien Houette |
Bruno Bouché presque à l’inverse, semble prendre un malin plaisir à
miser sur le fond. Undoing World, une œuvre profonde, peut-être trop
riche dans le verbe (une chanson "à texte", Spinoza et Deleuze) et les
effets scéniques (une longue introduction par le remarquable Isaac
Lopez-Gomes ou une longue marche des Ombres avec des couvertures de
survie), mais la difficulté de gérer le groupe "à la Pina" est bien
maîtrisée, tant dans l’occupation de l’espace que dans les ensembles
chorégraphiques. Un pianiste « improvisant » sur scène rend l’ensemble
vivant. Il se dégage de cette pièce une poésie dont la présence
lumineuse d’Aurélien Houette et celle glacée de Marion Barbeau ne sont
pas étrangères.
Eleonora Abbagnato - Alessio Carbone |
The Little Match Girl Passion de Simone Valastro plonge dans un autre
univers mais tout aussi théâtral. Le chorégraphe offre un conte dont la
narration n’est pas tout à fait linéaire mais où tout est maitrisé. Un
guide, l’œuvre éponyme du compositeur David Lang qui mêle conte
d’Andersen et passion du Christ, une scénographie passionnante,
esthétique mais efficace où se manifeste moult références à des choses
vues ici et là (Preljocaj, Ek, Teshigawara, etc) mais toujours en se les
appropriant. Les chanteurs, remarquables, sur scène comme partie
intégrante de l’œuvre servent de liaison aux différents tableaux. Petite
fille aux allumettes donc, Eleonora Abbagnato guide avec charisme le
fil de cette histoire parfois elliptique et rappelle à l’occasion,
qu’elle immense interprète elle est dans une œuvre fantasmagorique
pleine de suspens théâtral.
Eleonora Abbagnato |
Avec évidence, l’œuvre magnifique de Nicolas Paul termine la soirée.
Dans Sept mètres et demi au-dessus des montagnes, Nicolas Paul ne
tergiverse pas avec l’air du temps, il livre une œuvre personnelle et
noire, dépouillée mais grandiose. Les danseurs émanant des entrailles de
Garnier traversent robotiquement la scène pour rejoindre les ténèbres
sous une projection d’images d’eux-mêmes dans divers états conduisant à
la submersion. Pendant ce temps sur scène, tour à tour, d’autres
semblent lutter dans le désintérêt de ces passants sans âme. Déluge,
comme le titre l’évoque, ou allégorie des temps modernes sur
l'indifférence, comme toujours avec Nicolas Paul, l’interprétation
laisse un grand champ de possibles.
Stéphane Bullion |
Ce long continuum
fascinant vers les ténèbres est mis en valeur par une troupe
d’interprètes très engagés menée par Stéphane Bullion. Œuvre de groupe
où chacun danse pleinement, Sept mètres et demi au-dessus des montagnes offre aussi une place de
choix aux solistes comme Caroline Bance ou Josua Hoffalt.
Stéphane Bullion y déploie avec aise sa maîtrise du geste et de l’espace
et livre un long solo poignant, acmé de cette œuvre bouleversante.
Stéphane Bullion |