lundi 28 septembre 2009

Giselle 28 septembre 2009



Pour leur prise de rôle, Stéphane Bullion et Isabelle Ciaravola ont fait vibrer l’Opéra Garnier aux accents du théâtre et du drame puis de la poésie et du lyrisme, tenant en alerte des spectateurs charmés puis angoissés à partir de la scène de la folie.


Tout avait bien commencé, Stéphane Bullion en Loys, aux lignes très élégantes mais affectant une simplicité souriante avec une Giselle naturelle et joyeuse. La séduction est instantanée, les tourtereaux s’amusent et l’interaction entre le mime et la danse coule de source, les deux héros et le corps de ballet se fondent à merveille dans une clarté parfaite. Prince mais pas trop, il est quand même mal à l'aise avec les amis de Giselle, laissant percevoir un vernis de la tromperie très fragile. Isabelle Ciaravola est une Giselle douce et émerveillée mais qui ne tombe jamais dans la naïveté, Stéphane Bullion est spontané, jamais roublard et plutôt gentiment amusé.


Albrecht est sincèrement amoureux. Cette attitude débouche avec cohérence dans l’angoisse dès la prise de conscience du drame, alors qu’il est découvert par un Hilarion, hélas un peu désincarné par Karl Paquette qui ne donne jamais le change, mais la tension apportée par Stéphane Bullion dans ses rapports avec Bathilde, Giselle et aussi Wilfried son écuyer, renvoie parfaitement la balle à Isabelle Ciaravola qui délire de son côté et maintient l’effet dramatique.



Ainsi s’établit un parallélisme poignant qui est le premier dans cette série où l’on avait simplement vu jusqu’à présent, l’Albrecht de Nicolas Le Riche ou de Karl Paquette assister presque incrédule à la folie de Giselle. Stéphane Bullion avec un jeu simple mais subtile se replie sur lui même et sur sa faute, commence dès le premier mouvement à regretter, saisi nerveusement par l’angoisse. On l’avait déjà vu très inquiet de l‘émoi de Giselle lorsque Berthe racontait l’histoire des Wilis, il sombre dans le remords, désemparé face à la foule, cherchant refuge auprès de son écuyer, un Jean-Christophe Guerri très en phase avec son prince. Isabelle Ciaravola est une ballerine très expressive mais sa Giselle disjonctée n’est pas outrancière, ni mécanique, elle ouvre vers un autre domaine, celui du rêve qui s’est brisé, d’une manière sûre et parfaitement juste. Elle prend soin de marquer quelques moments phares de cette scène et de vivre tout simplement les autres sans jamais déborder dans l’outrance ou se réduire à trop de réserve.


Le deuxième acte est de toute beauté car là, les deux danseurs se laissent aller dans la poésie avec leur distinction mais aussi leur potentiel dramatique. Isabelle Ciaravola déploie ses longues jambes à l’infini comme si ses arabesques cherchaient la rédemption pour son aimé, un Albrecht attentionné et mortellement blessé dès son entrée en scène. Stéphane Bullion qui de par sa taille a souvent des partenaires également d’envergure, semble ici se jouer de la technique avec Isabelle Ciaravola pour ne laisser apparaître que le travail du sentiment, une introspection sur lui-même, une émotion épurée et délicate qui s’exhale dans regards tristes et éperdus, un sentiment à fleur de peau qui laisse parfois apparaître un personnage presque aussi cristallin que Giselle.


Celle-ci ne le sauve pas tellement de Myrtha que de lui même, elle le fait revivre dès qu’il l’aperçoit. Majestueux et lyrique, il confère à l’adage une beauté irréelle avec une grâce dans les portés qui font flotter Isabelle Ciaravola dans les airs comme on n’a jamais vu. Cette force qui les unit semble invincible et Myrtha, une Laura Hecquet un peu inexpressive malgré une jolie technique, qui mériterait plus de caractère à son personnage, ne peut que mettre en relief leur sereine communion.


La majesté d’Isabelle Ciaravola prend toute sa forme dans le deuxième acte, car si elle n’a pas le dynamisme technique de certaines de ses collègues, elle sublime ses mouvements par un accompagnement théâtral qui prend source dans des petites nuances qui les magnifient. Sa Giselle n’est pas éplorée, martiale ou glaciale, elle est sépulcrale mais aimante. A travers son masque impavide de Wili, elle arrive dans ses mouvements et son rapport à Albrecht à faire ressentir l’espace d’humanité qui lui reste pour vouloir faire vivre le jeune homme. Le dernier pas de deux de la disparition est presque magique, il ne semble presque pas la porter, elle ne paraît presque pas exister. Elle est transparente mais elle nous apparaît, un travail d’illusion parfaitement maîtrisé. L'émotion est à son comble. De retour dans sa tombe, elle laisse Albrecht esseulé à la recherche de son âme.