mercredi 28 septembre 2011

Phèdre et Thésée

Agnès Letestu
Agnès Letestu s’approprie Phèdre comme une douleur de vivre intériorisée dont parfois les feux se lisent à l’extérieur mais dont souvent, seul le regard meurtri ou féroce laisse transparaître la force. les gestes n'étant que la fin de l'intention Sa Phèdre est majestueuse et domine parce qu’elle est profondément mystique, lorsqu’elle s’interroge sur ses raisons de vivre, un rien intriguée et humaine lorsqu’elle pense ou regarde Hippolyte. Vaniteuse, humiliée et meurtrie, elle dépose les armes devant Thésée, l’impitoyable. 
Agnès Letestu excelle dans cette progression des sentiments apparaissant alors dans la position ambiguë de ce spectre d’une force externe à l'allure puissante mais dotée cependant de la faiblesse intérieure de l’amour interdit, le poids du remords et la honte faisant le reste de sa destinée. Elle s’impose sur scène par ses mouvements précis, secs et rapides. 

Stéphane Bullion
L’Hippolyte de Josua Hoffalt est tour à tour joueur et fier, flamboyant sans son entrée, un peu comme son père Thésée, mais il apparaît rapidement, fils, humilité devant le Roi, réservé avec sa belle-mère. Avec Aricie, l’amour interdit, il arbore la posture de la séduction détachée et une attitude ambiguë, celle-là même qui le pousse dans un premier temps à ne pas rejeter les attentions de Phèdre, comme s’il s’en amusait, pour mieux s’en éloigner avec violence au moment où elle exprime clairement ses intentions. Alors, Phèdre scelle le destin d’Hippolyte qui après une rencontre des plus froides avec son père à son retour, se voit condamner impitoyablement à mourir, d’un doigt qui ne nécessite aucun commentaire. 

Stéphane Bullion

Stéphane Bullion incarne un Thésée à la froide détermination. Allure altière, cheveux en flamme, il semble ici descendre de l’Olympe alors qu’il remonte des enfers. Au premier pas sur scène, son aura irradie, roi indiscutable à qui l’on doit obéissance, indiscutable guerrier triomphant.
La Phèdre d’Agnès Letestu y trouve immédiatement son maître, dialogue impossible entre l’immédiate culpabilité de ses pensées et de son mensonge qui condamne Hippolyte, et celui à qui on ne résiste pas. 

Stéphane Bullion

Thésée apparaît comme inatteignable, la présence spectrale de Stéphane Bullion n’invite pas au compromis et à la discussion. Son Thésée lent et majestueux imprime à chaque geste une puissance à la fois indiscutable mais subtile qui prend sa force dans la musique qui caractérise son apparition. Sans  systématiquement aller au plus simple, mais en effectuant un vrai travail de lecture de l'oeuvre, il utilise avec bonheur l'immobilité pour quelquefois en faire un contrepoint, les jambes acérées, mais terriennes, les épaules dominantes sous son armure pourtant difficile à porter. 


Stéphane Bullion - Agnès Letestu

Avec un remarquable talent de tragédien, Stéphane Bullion utilise avec bonheur les poses lifariennes auxquelles il imprime du sens. Thésée majestueux au port de tête impérieux, Thésée serein aux bras ouverts vers le monde qu’il domine, Thésée qui comprend la trahison aux doigts contractés, Thésée calculateur aux positions félines d’un prédateur à l’affût, Thésée, les yeux écarquillés, qui s'adresse aux dieux pour les prendre à témoin de la trahison des siens.
Plus le ballet avance, les gestes se minimalisent, les yeux s’enfoncent dans les orbites et il ne reste plus qu’à rejeter une dernière fois Phèdre dans un corps à corps inexorablement dédaigneux, mais c’est dans le regard de Thésée que Phèdre trouve la mort.

Stéphane Bullion - Agnès Letestu