Emilie Cozette |
Concession au blockbuster annuel des fêtes, la série de Cendrillon a une nouvelle fois prouvé que même lorsque le ballet est traditionnel, qu’il raconte une histoire sans intérêt, que la créativité artistique n'est peut-être pas complètement au rendez-vous au plus haut niveau, le talent des danseurs peut faire passer n’importe quoi. Ainsi, les héros de décembre auront été sans conteste les
petits jeunes (ou pas) danseurs qui ont porté avec dignité et
panache, le joli string bleu orné d’une fleur rose (à côté desquels le pyjama doré de l'Acteur-vedette et la robe mémé de Cendrillon ne sont que rigolade) des heures fatidiques de
l'horloge condamnant impitoyablement chaque soir, comme une sorte de vengeance
du sort hérité du costume designer, Cendrillon à son retour à la vie de
souillon.
Dans ce Cendrillon où comme souvent dans les chorégraphie de Rudolf Noureev de nombreux solistes sont sollicités pour leur brio technique et leur personnalité artistique, le ballet de l'Opéra de Paris a montré son savoir faire, tant dans les premiers rôles que pour un corps de ballet régénéré, notamment chez les danseurs qui sont ici pour une fois plus nombreux que les femmes. L'écriture musicale de Sergei Prokofiev est parfaitement exploitée par le chorégraphe et l'orchestre de l'Opéra sous la direction de Fayçal Karoui en a rendu toutes les nuances.
Agnès Letestu |
En haut de l'affiche, Agnès Letestu s’est encore une fois imposée comme dominant incontestable la technique de la narration, imposant une héroïne cohérente et maîtrisant la progression dramatique de main de maître. Difficile de rajouter quoi que ce soit à l'impression de poésie qu'elle a produite dès le soir de la Première. C'est un rôle qu'elle connaît bien mais elle sait à chaque fois surprendre par la spontanéité de ses attitudes narratives. De la souillon à l’amoureuse épanouie, tout concoure chez elle à porter l’histoire à travers une danse et des émotions justes et pleines de richesse à laquelle elle confère une touche de sa personnalité hors du commun. Elle habite avec un naturel désarmant ce rôle qui, s'il n'est pas aussi poussif que dans les versions traditionnelles, n'est pas non plus la panacée.
Stéphane Bullion - Agnès Letestu |
En contre point de sa Cendrillon triste et mélancolique mais volontiers ouverte à toutes les expériences tout en gardant les yeux de l'innocence, le joli cœur électrique et déterminé de son Acteur-vedette Stéphane Bullion se présente au deuxième acte comme le parfait complément antithétique mais nécessaire à l’intérêt de la mince intrigue. Il cueille alors en un regard l'attention de la belle réalisée et tous les deux, ils emmènent les spectateurs dans l’histoire avec entrain, sincérité et une tendresse souvent touchante.
Avec une verve comique qu’il n’a pas souvent l’occasion de dévoiler –ce qui sans doute lui sert particulièrement- Stéphane Bullion impose un acteur vedette aux contrastes bien marqués dans les différentes situations du ballet, face aux sœurs, face à Cendrillon ou dans les variations de sa quête de l’amour disparu, un peu goguenard mais pas trop, un peu sceptique sans insister. Somme toute, il a su s’emparer de cette purge de Noël avec son talent dramatique habituel et une touche d'humour bienvenue.
Stéphane Bullion - Agnès Letestu |
La même chose est valable pour Nicolas Le Riche qui n'avait pas dansé le rôle lors des dernières reprises, même si avant sa blessure, il s’était déjà montré un peu las et moins joueur, plus à l'aise dans la danse que dans le jeu. Il n’était, il est vrai, peut-être pas vraiment en adéquation avec la Cendrillon juvénile et glamour de Dorothée Gilbert au fort tempérament et semblait moins engagé dans la dérision, notamment lors des cavalcades avec ses amis, passages un peu limites dans la chorégraphie..
En revanche, Karl Paquette, qui lui a succédé auprès de cette dernière, avant de retrouver sa partenaire Emilie Cozette, avec son attitude plus passive face à l’histoire et face à ses Cendrillon assez différentes mais très à l'aise et plutôt scintillantes absorbe mieux tous les cas de figure. Emilie Cozette, très lyrique, lui fait un peu de l'ombre, mais tout en paraissant un peu dominé, il déroule un Acteur-vedette désinvolte et passe-partout qui remplit bien sa fonction, sorte de transmission de pouvoir entre l'acteur confirmé et la star naissante.
Dorothée Gilbert - Nicolas Le Riche |
Florian Magnenet de son côté, s’inscrit lui aussi plus dans la verve comique initiée par Stéphane Bullion. Sa série exceptionnelle avec quatre partenaires différentes –Marie-Agnès Gillot comme prévu, puis Laëtitia Pujol en remplacement de Jérémie Bélingard et Aurélie Dupont pour suppléer à la défaillance de Josua Hoffalt, et enfin un sauvetage miracle le soir du 1er décembre en cours de représentation suite à la blessure sur scène de Nicolas Le Riche aux côtés de Dorothée Gilbert- lui a donné l’occasion de peaufiner un rôle qui le place au tout premier plan des interprètes les plus adéquates de ce ballet. Sa grande carrure le rend hilarant lorsqu'il est manipulé par les soeurs au deuxième acte alors que son regard mélancolique en fait un amoureux parfait dans les pas de deux.
Josua Hoffalt qui a pu assurer ses deux dernières représentations a semblé très engagé dans la comédie mais un peu raide dans la danse et le partenariat, sans doute pas vraiment remis de sa blessure.
Dorothée Gilbert - Florian Magnenet |
Marie-Agnès Gillot - Yann Saïz |
A l’inverse, là où elle n’était pas attendue, Marie-Agnès Gillot, utilise son exceptionnelle personnalité pour faire de sa Cendrillon une victime passive de sa situation familiale en donnant une naïveté populaire à son personnage. Grande fille mal dégourdie, elle apparaît désarmée et godiche face à ses sœurs et sa belle-mère bien agressives de manière à faire oublier que, si elle pourrait les retourner d’une pichenette, l'idée ne lui vient même pas. Le deuxième acte est moins à son avantage, la petite fille émerveillée de Dorothée Gilbert qui touche le jackpot fait des merveilles, avec Florian Magnenet comme avec Karl Paquette, alors qu’Aurélie Dupont est tout à fait à son aise dans le monde du strass.
Aurélie Dupont - Josua Hoffalt |
C’est sans doute un savant dosage de comique et de mélancolie qui permet de prendre un intérêt dans le ballet dans son ensemble, au-delà des pas de deux toujours un peu complexes, même si moins tarabiscotés que d’habitude chez Rudolf Noureev.
Dans la série des dévoués au comique, il est essentiel de retenir la formidable marâtre de Stéphane Phavorin. Il réussit parfaitement à faire l’écart entre la belle-mère détestable du premier acte, la mère plutôt protectrice et ludique du deuxième, et la marâtre franchement comique de l'essai de pantoufle
Plus mesuré mains non moins drôle, Aurélien Houette se sort très bien de ce rôle ambigu où il faut flirter avec la méchanceté sans jamais tomber dans l’odieux et garder un zest de comique pour répondre à ses filles.
Stéphane Bullion - Christophe Duquenne - Stéphane Phavorin second rang (de g à d) : Florimond Lorieux - Axel Ibot - Bruno Bouché - Pierre Rétif - Alexis Renaud |
Mélanie Hurel et Ludmila Pagliero se sont imposées dans la même veine que leur mère Stéphane Phavorin, ce qui là aussi prend le contre-pied de leurs images de solides et sérieuses techniciennes. Sans abuser de la grimace, elles construisent des personnages qui par leur danse précise et décalée, provoquent le comique de situation parfait. Leur entente également tout à fait au point, dans la danse comme dans les attitudes, montre une osmose idéale qui offre de la légèreté même dans les passages redondants et un peu lassants.
Stéphane Bullion - Ludmila Pagliero |
Dans les autres distributions, seule Alice Renavand a paru atteindre les mêmes cimes de drôlerie, mais plus dans les attitudes totalement outrancières de son personnage et son interprétation de la sœur bleue fera date, même si elle éclipse l'excellence de celle de Nolwenn Daniel, rendant le duo un peu moins efficace.
Stéphane Bullion - Christophe Duquenne - Mélanie Hurel |
Yann Saïz |
Reste le producteur charismatique de Yann Saïz, véritable maître de cérémonie de la soirée. Avec 17 soirées à son actif, un punch intact chaque soir, le cigare rivé à la bouche il emballe son film de l'histoire comme il anime le ballet, faisant de cette transformation de la bonne fée, une des vraies grandes réussites de la transposition de Noureev du conte de fée.
Stéphane Bullion - Agnès Letestu |