dimanche 22 avril 2012

Première de l'Histoire de Manon, 21 avril 2012

Nicolas Le Riche - Clairemarie Osta

Grand retour sur la scène parisienne de L’histoire de Manon de Kenneth MacMillan avec pour cette Première, un couple qui déjà s’illustrait en 2003 lors de la dernière reprise.
Clairemarie Osta trouve ici un rôle de prédilection qui sied à merveille à son tempérament artistique, une actrice fine à la danse ouvragée qui déploie des variations intenses dans ses émotions et ses intentions en réponse à ses humeurs face à ses partenaires, la passion pour son amant Des Grieux, l’attachement touchant à son frère Lescaut, la séduction face aux courtisans qui lui offrent la vie qu’elle désire, le dépit et même la fureur une dernière fois face au geôlier. La Manon de Clairemarie Osta n’est pas franchement une croqueuse d’hommes, elle montre très bien ses velléités à rester avec Des Grieux lorsque celui-ci  est là alors qu’elle n’est pas non plus résistante aux richesses que lui fait miroiter son frère. C’est cette balance très finement menée qui lui permet de briller au juste milieu dans la scène de la séduction où elle passe de gentilshomme en gentilshomme dans une sorte de bulle hors du temps qui lui permet d’oublier Des Grieux, non pas comme un défi à elle-même mais comme une sorte de plaisir à être désirée et à être mise en valeur. Ce moment lui permet d’exister pour elle seule, non dominée par les hommes, que ce soit Lescaut ou Des Grieux, ou son protecteur Monsieur de G.M.  Le personnage qu’elle dresse est léger et insouciant, généreux et non calculateur.

Clairemarie Osta

Nicolas Le Riche en chevalier Des Grieux est plus réaliste et par la même ancré dans la réalité dans son amour torturé. Une fois le premier revers subit, il est encore plus anxieux et sur ses gardes, mais chaque fois qu’il retrouve Manon, il rend les armes. Distant comme emprunt de sa qualité de chevalier, petit jeune homme de bonne famille, il apparaît souvent subir les scènes de groupes un peu vulgaires ou scabreuses où il disparaît parfois dans la masse de courtisans sur scène alors qu’il dévoile son charisme et sa danse précise dans soli et pas de deux et s’illumine au contact de Manon, sa raison d’exister dans ce monde de débauche. La chorégraphie de MacMillan est particulièrement exigeante pour le chevalier et Nicolas Le Riche glisse dans les arabesques comme dans un gant. Dans sa tenue blanche, son corps s’étire et se déploie comme un prolongement à son amour. Dans les pas de deux, les portés périlleux sont maîtrisés de main de maître dans une fluidité que n’explique pas seule la silhouette diaphane de sa Manon. 

Nicolas Le Riche - Clairemarie Osta


En relisant l’Abbé Prévost, Kenneth MacMillan a donné un rôle primordial à Lescaut, le frère de l’héroïne, celui par qui tout arrive et qui, comme un maître de cérémonie, organise l’action. Le ballet s’ouvre sur un Stéphane Bullion déterminé, dépeignant d’emblée le militaire pas commode mais assez amène qu’il va s’évertuer pourtant à nuancer à travers une personnification haute en couleur pour offrir un personnage plutôt sympathique. Après une première variation tonitruante qui campe un Lescaut brillant et hâbleur, on entre dans la complexité d’une  figure plus subtile.  Il adore sa sœur, mais on comprend bien vite que cette aura protectrice le sert dans ses dessins calculateurs. Pourtant, jamais Stéphane Bullion ne donne à penser qu’il n’est pas sincère dans son amour pour Manon, et se marie parfaitement ainsi à Clairemarie Osta dont il fait bien ressortir les similarités familiales comme l'élégance ou la joie de vivre mais l’esprit calculateur en plus. Après avoir vu d’un mauvais œil Des Grieux qui le gêne dans son entremise avec Monsieur de G.M., il s’associe à lui pour l’amour de Manon.

Stéphane Bullion
 
Avec sa maîtresse, une Alice Renavand remarquable, il varie également ses attitudes, mais fait très bien ressentir la distance qu’il met dans son comportement envers une soeur et une maîtresse. Irrésistible de drôlerie dans son solo et dans le pas de deux de l’ivresse, Stéphane Bullion livre un aspect de son talent comique qu’on avait déjà pu apprécier dans Cendrillon. Porté ici au rang de l’art, il conduit un deuxième acte dans une ivresse joyeuse qui révèle un peu plus que le Lescaut fort et gouailleur, qu’il a voulu montrer au premier acte, un homme simple et léger, heureux de son sort dans ce monde de luxe. En dehors de ce besoin d’argent, c’est un festif et Alice Renavand lui donne une réplique moins accessoire qu’au début du ballet. Elle est elle-même une jouisseuse qui s’oppose un peu à la réserve d’une Manon destinée aux plus grands, mais dont in fine le caractère semble proche, sorte de double pratique à l’interdit de l’inceste.

Stéphane Bullion - Alice Renavand

Outre ce quatuor parfait, les rôles annexes du ballet sont ici dansés et interprétés dans une cohésion dramatique, le brio d’Allister Madin en chef des mendiants, Stéphane Phavorin, Monsieur de G.M. fat et exemplifiant totalement les côtés détestables de la richesse et son pouvoir, les trois gentilshommes d’Audric Bezard, Aurélien Houette et Yann Saïz ont une classe folle dans une débauche que Des Grieux s’interdit et le geôlier d’Emmanuel Hoff est d’une morgue juste sans donner dans l’excès.

Stéphane Bullion - Clairemarie Osta - Stéphane Phavorin

Au finish, tant de maestria a fait souffler sur cette Première une bouffée de fraîcheur  jouissive sur la scène de l’Opéra de Paris grâce à la puissance narrative d’un ballet à la chorégraphie très exotique dans le répertoire parisien mais qui interprété de cette manière s’impose d’ors et déjà comme un sommet de la saison.



Distribution de la Première, 21 avril 2012 

Manon Clairemarie Osta
Des Grieux Nicolas Le Riche
Lescaut, frère de Manon Stéphane Bullion
Sa maîtresse Alice Renavand
Monsieur de G.M. Stéphane Phavorin
Madame Viviane Descoutures