lundi 12 octobre 2009

Giselle


L’Opéra de Paris a commencé la saison avec une très belle série de Giselle, un des ballets phares du répertoire. Si l’on met à part la contre performance de Benjamin Pech, les danseurs principaux de ces représentations ont affirmé un talent éclatant à différents niveaux, principalement les techniciens et les dramaturges. Même si certains sont plus doués que d'autres pour le ballet narratif, leur touche personnelle qui distingue leur caractère a profité au spectacle.

La scène de la folie
Isabelle Ciaravola & Stéphane Bullion

Giselle est un rôle paradoxal car la jeune paysanne souffreteuse qu’un Prince par malice ou par insouciance vient à conduire à la mort, doit faire preuve d’une technique sans faille dans des variations plutôt complexes qui challengent la danseuse. C’est pour cette raison entre autre que les capacités d’actrices de celle-ci sont indispensables pour restituer parfaitement le contexte du drame en parallèle à des mouvements qui ne doivent jamais n’être que de la technique pure. Dans le premier acte, cette force doit disparaître pour montrer la fragilité de Giselle alors que dans le deuxième acte, elle doit montrer le caractère éthéré de l’héroïne à travers des mouvements sans faille.

Delphine Moussin

Les danseuses qui ont abordé le rôle cette année étaient nombreuses. Seules Aurélie Dupont et Dorothée Gilbert ont un peu cédé à la tentation de la jouissance stylistique pure, mais sans doute en raison de leurs capacités restreintes dans le domaine de la tragédie. Elles rivalisent donc de virtuosité. Aurélie Dupont a plus de métier et se tire mieux du mime, elle peine cependant à émouvoir. Il est vrai que son physique sophistiqué ne l’aide pas à rendre une jeune paysanne crédule… Dorothée Gilbert gère mieux son brio dans le premier acte, où elle apparaît plus crédible dans sa danse, mais le mime est un peu laborieux et elle est trop linéaire dans son jeu surtout dans la scène de la folie que l’on sent et que l’on voit aussi trop travaillée.

Isabelle Ciaravola

Avec Isabelle Ciaravola et Agnès Letestu, c’est la maîtrise de l’art théâtral et difficile de ne pas entrer dans la naïveté de l’héroïne mais aussi dans son esprit hagard, on vibre avec elles. Delphine Moussin et Clairemarie Osta sont plus réalistes mais sont touchantes par leur simplicité désarmante.

Isabelle Ciaravola & Stéphane Bullion

Dans le deuxième acte, c’est aussi les actrices qui atteignent le firmament, en particulier Isabelle Ciaravola déjà évoquée le jour de sa représentation (voir post du 28 septembre 2009), et ceci notamment en raison de son partenariat exceptionnel avec Stéphane Bullion. Les deux danseurs sont dans le plus haut niveau de l'émotion et de la tension qu'apporte l'histoire.
Clairemarie Osta qui a bénéficié également d’un Albrecht de grande classe en la personne de Mathieu Ganio est remarquable mais cette paire est beaucoup moins dans la poésie que la première. En raison peut-être d’un maquillage moins marqué, elle a paru plus réelle et non pas entre deux mondes, les yeux toujours grands ouverts et attentive là où Isabelle Ciaravola s’abandonne aux éthers et aux bras de Stéphane Bullion.
Si Delphine Moussin s’accorde très bien avec Karl Paquette, il n’a pas la présence scénique des deux autres danseurs qui ont sublimé leurs Giselle, mais personne ne peut lui retirer ses piétinés irréels qui touchent au sublime.

Stéphane Bullion & Isabelle Ciaravola

Stéphane Bullion a encore une fois mis ses ressources d'acteur d'une rare sensibilité au service de ce rôle, peut-être plus complexe que celui de Giselle. Danseur très intériorisé, il s’abandonne à son personnage d’une manière singulière. Dans Albrecht, il trouve un personnage idéal qui convient parfaitement à son style de danse, ce qui le conduit à en donner une interprétation hors pair.

Stéphane Bullion

Son Loys est très surprenant. Curieusement, lui qu'on désigne souvent pour incarner les personnages sombres, a choisi de faire de Loys un prince solaire sincèrement amoureux, dans la lignée de son Jean de Brienne, puis vire au quasi psychotique dans la scène de la folie où l'angoisse le saisit. Dans cette série lors du premier acte, seul Benjamin Pech a construit un personnage avec autant de force et de lisibilité que le sien (mais à l'opposé puisque très perfide), et il est d’autant plus dommage que ce dernier n’ait pas fait montre du minimum de technique nécessaire au rôle, bâclant totalement les deux représentations qui lui étaient dévolues.

Stéphane Bullion

L'Albrecht de Stéphane Bullion retrouve les accents sombres dans lesquels il excelle si bien et s'abandonne au romantisme lyrique aux côtés d'une Isabelle Ciaravola d'une poésie totale.

Nicolas Le Riche & Aurélie Dupont

Nicolas Le Riche a semblé aborder Albrecht avec une décontraction un peu décalée qui s’accorde mal au jeu et à l'allure plutôt sophistiqués d’Aurélie Dupont. On peut néanmoins reconnaître à Nicolas la qualité de sa danse qui si elle est moins épurée que celle de Mathieu Ganio, n’en est pas moins parfaite et brillante, beaucoup plus pointue et technique que celle de Mathias Heymann pourtant assez impressionnant. Celui-ci s’est attaqué au rôle avec beaucoup de volonté mais la tâche est ardue et on préfère penser à lui dans quelques années, lorsqu’il aura maîtrisé les capacités extraordinaires de son corps et fait quelques progrès en art dramatique.

Clairemarie Osta & Mathieu Ganio

L'autre Albrecht à retenir est plutôt Mathieu Ganio, princier jusqu’au bout des ongles, pourtant encore très timide dans l’interprétation avec un Loys peu lisible et un Albrecht manquant un peu de lyrisme dramatique dans le deuxième acte. Mais sa danse est d’une finesse sans égale et même s’il manque un peu de cette intégration à l’histoire que Stéphane Bullion sait parfaitement réaliser, il est enthousiasmant par son élégance.
José Martinez et Karl Paquette sont plus en retrait face au festival de dons de leurs collègues mais sont néanmoins d'excellents partenaires. Karl Paquette qui forme avec Delphine Moussin une paire très émouvante est un beau prince, peut-être un peu trop linéaire mais il ne manque pas autant de relief que celui de José Martinez, qui en dehors d’une technique parfaite, semble peu investi dans l’histoire. A sa décharge, il a dû danser deux fois à la dernière minute avec Aurélie Dupont avec qui il ne forme pas un partenariat très harmonieux.

Berthe, Giselle & Hilarion
Christine Peltzer, Dorothée Gilbert & Yann Bridard

Il est dommage que la compagnie qui a bien distribué les rôles principaux, même si la défection d’Agnès Letestu a sollicité un peu plus Aurélie Dupont alors qu’elle aurait pu s’ouvrir, n’ait pas réparti plus largement ses talents sur le rôle d’Hilarion, qui est capital dans le premier acte.

Hilarion
Nicolas Paul

C’est d’autant plus regrettable d’y avoir affecté Karl Paquette qui n’a pas la présence nécessaire au rôle et d’avoir retiré Emmanuel Hoff au dernier moment. Certes Yann Bridard et Nicolas Paul sont de très bons Hilarion, même si un peu hors normes et pas dans la démonstration. Ils se sont donc répartis avec brio les autres représentations. Les deux danseurs ont un jeu clair et subtil, Yann Bridard très cérébral et malin (on voit qu’il s’est fait un gros plaisir et c’est franchement réussi), Nicolas Paul plus commun, spontané et brutal, très incisif dans les affrontements.

Myrtha
Emilie Cozette

Marie-Agnès Gillot est éblouissante en Myrtha et seule Emilie Cozette arrive à être aussi impérieuse vis-à-vis d’Hilarion et des tourtereaux, mais elle manque un peu de la clarté de la danse de son aînée. Stéphanie Romberg et Laura Hecquet sont plus traditionnelles, techniquement irréprochables mais avec une personnalité effacée. On ne peut que regretter la blessure de cette dernière lors de sa deuxième représentation.

Myrtha
Marie-Agnès Gillot

La politique réduite des distributions s’est aussi portée sur le pas de deux des paysans. En parallèle au plus connu Emmanuel Thibault, on a pu découvrir le talent naissant de Grégory Gaillard, quelquefois très impressionnant et Marc Moreau, encore un peu foufou mais avec des qualités très certaines, un ballon étonnant et une joie de danser qui s’accommode parfaitement de ces morceaux de bravoure. Le personnage féminin tout aussi virtuose est plus réservé. Ludmilla Pagliero s’est elle-même très bien acquittée du défi en réponse à Mélanie Hurel, parfaite en tout point mais que l’on sent un peu routinière. Amandine Albisson et Charline Giezendanner ont la fraîcheur de l’emploi mais manquent un peu du polissage que ce rôle requiert.

Amandine Albisson & Marc Moreau

Le corps de ballet a connu des hauts et des bas. Dans les paysans, l’Opéra avait aligné ses pointures et on ne peut qu'admirer. Les paysannes et les amies de Giselle ont souffert de plus d’aléas sans que vraiment on comprenne pourquoi. Ceci est vrai chez les Wilis même si dans la plupart des représentations, la synchronisation était parfaite. On peut retenir également l’extrême légèreté dans laquelle le corps de ballet se meut dans le deuxième acte à l'image des créatures surnaturelles qu'elles incarnent.

Les Wilis

Giselle comporte un nombre non négligeable de rôles non dansés mais néanmoins très importants. On ne peut passer sous silence les remarquables Wilfried de Jean-Christophe Guerri, le type sur qui Albrecht peut vraiment compter (on pense notamment à Stéphane Bullion qui cherchait en lui un véritable soutien psychologique dans sa détresse) et Sébastien Bertaud tour à tour petit page ou tête pensante. Amélie Lamoureux, princesse trahie et son dédain ou Béatrice Martel, plus meurtrie. A remarquer encore, dans toutes les représentations, Christine Peltzer, Berthe éplorée et Vincent Cordier, prince à la classe absolue.


Albrecht & Wilfried
Mathias Heymann & Sébastien Bertaud